C'est ici que nos chemins se séparent. C'est l'arrivée de cette période de confinement n°1. Une autre la prolonge de 15 jours, voilà ce que l'on sait, et ensuite c'est l'aventure !
Comment en sortirons-nous ? La recherche travaille dessus. Des tests sont en cours de tests.
Quelque chose est certain, entre la théorie et la pratique il y a des moyens en matériel dont nous manquons toujours.
Pour bien sortir du confinement, il faudrait pouvoir attendre d'être en mesure de bien le faire. Mais attendre est inconfortable et surtout économiquement inenvisageable. Rater la sortie, c'est nous promettre d'y retourner tôt ou tard avec des conséquences qui ne sont pas quantifiables. Alors...
Le monde a un sérieux problème à résoudre.
Les pays les plus riches, dont nous faisons partie, ont le luxe de pouvoir calculer au mieux, de se battre pour limiter la casse, d'élaborer des stratégies de moindre coût en vies et en monnaie. En réalité nous pestons contre les moyens qui nous manquent et qui risquent de contrarier la réussite de cet objectif.
Mais les autres, les pays en voie de développement comme on les appelle? Ils traversent à la nage !
On en parle assez peu, les médias restent centrés sur notre propre vécu et notre devenir.
Comment confiner les gens qui mangent, le soir, le peu qu'ils ont trouvé dans la journée ? Quel accès aux soins ont-ils lorsque déjà ils n'ont pas accès à l'eau et à l'électricité ? Ils sont déjà en survie.
J'aurais bien aimé trouver une note positive pour clôturer. Que la médecine trouve vite un vaccin ou un remède ? Que tout le monde en bénéficie ?
Je suis tombé par hasard sur cette citation ce matin :
"Mais si le but poursuivi était, non de rester vivant, mais de rester humain..." - Georges Orwel 1984
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Février 2016 - Sur le voilier fin de la transatlantique - Jour 15 -
Vers 4 heures du matin, j'entends que les choses s'agitent dehors. 8, 10, 12 Nœuds de vent. Je renvoie les voiles nous sommes délivrés de ce trou.
Une heure plus tard c’est tonique ; force 5.
Agur reprend ses grandes foulées à 8 nœuds.
Le vent est en effet orienté au Sud mais en raison de notre déplacement nous le recevons sur une allure de près bon plein à 60° du vent, voiles partiellement réduites.
A 6 heures c’est plus fort encore, autour de 25 Nœuds. L’océan se forme. Les vagues sont à 2,50 mètres, 3 mètres.
Le pilote tient mais embarde de temps en temps.
Je prends la barre en mains, je ne le sais pas encore mais je la garderai pratiquement en continu jusque l’arrivée, 20 heures plus tard.
A cette allure de près, escalader les vagues est impressionnant. Le vent devrait petit à petit passer sur l’arrière, mais il n’en donne pas encore de signes.
A 6 h 30, pour la première fois depuis 15 jours, la radio crachote ; au milieu d’une quantité de parasites je comprends trois mots, mais ils me suffisent : « bulletin marine spécial ». Dès qu'il y a un bulletin spécial, je sais qu’il annonce au moins du force 7.
La situation a donc évolué depuis notre dernière connexion. Déception, inquiétudes.
Dans la matinée nous recevons mieux la diffusion du Cross Martinique. Nous sommes sous BMS « Grand Frais » 30 Nœuds sur la zone, et rafales à 40 nœuds à attendre à l’approche, dans le canal de Sainte Lucie. Force 7 à 8. C'est la cote maximale pour notre bateau. Sur les instructions de navigation il est indiqué en caractères gras " au delà de 35 Nœuds navigation non recommandée".
De trop peu nous passons à trop.
Le vent monte à 30 Nœuds. L’océan gonfle à vue d’œil.
Les vagues sont à 4 mètres, quelques unes, plus hautes se cabrent. Ça explose devant, derrière, et parfois sur le bateau. Le cockpit est régulièrement saucé.
La barre devient physique mais toujours précise.
« Agur t’es un bon bateau ! Tu vas me passer ce truc là ! » ; et jusque-là ça passe.
Syl est dans le carré, assise bien calée, parfois allongée, elle gère l’inévitable stress, toujours sur le qui-vive, prête à donner le coup de main qu’il me manque.
Cette position de soumission aux éléments est plus impressionnante qu’à la barre où je garde une relative maîtrise de ce qui se passe.
Elle me donne de temps en temps une friandise. Pas le temps de prendre des repas.
Elle prend la barre trois minutes le temps que j’aille aux toilettes et elle rejoint vite l’intérieur.
J’ai l’impression que ça ne fait que monter.
Nous avons la configuration de voiles minimum, il faut choquer parfois pour étaler quelques minutes des rafales plus violentes, et reprendre ensuite. Ce n'est plus le cap qui prime, c'est le passage des vagues, au mieux.
14.40 N - 59.08 W - A la mi-journée. Maigre progression, nous payons notre arrêt encalminé.
Nous sommes encore à 100 milles (180 km) de la Martinique.
Il faut attendre la fin d’après-midi pour que le vent passe progressivement sur l’arrière à 120 degrés.
Nous avançons entre 8 et 10 Nœuds en permanence, le meilleur surf est à 13,7 Nœuds. Mais à ce niveau-là, plus de plaisir. C’est de la concentration à 100 % pour que rien ne casse, pour ne pas faire une fausse manœuvre.
Une vague plus intrépide que les autres réussit à finir à l'intérieur, dans le carré et à dégringoler les escaliers de la coursive tribord. Ceux qui connaissent la configuration du bateau apprécieront.
Cette journée est gagnée minute par minute.
Je redoute les 40 Nœuds promis par le BMS en fin de parcours.
A 18 H 30, la nuit tombe. Par radio, je me signale au Cross, en approche de la pointe sud de La Martinique. Ils notent les coordonnées, je rappellerai lorsque nous serons à l’abri. Dans le cas contraire, ils ont toute latitude pour réagir.
La lune ne nous éclaire plus depuis quelques jours.
On ne voit plus les vagues, mais elles sont toujours là. Barrer dans l’obscurité est difficile dans ces conditions. J’alterne entre quelques minutes de pilote et je reprends la main.
Le phare de l’ilet des Cabrits apparaît. Terre ! Terre !
La vue de ce repère est un soulagement, il devient à nouveau possible de diriger le bateau sans avoir en permanence le nez sur le compas et l'anémomètre.
Il nous reste 3 ou 4 heures.
Le vent semble mollir un peu il revient vers les 20, 25 nœuds. L’océan retrouve à son tour des caractéristiques maniables. Il y a du bon.
C’est un compte à rebours palpitant.
Nous approchons comme des escargots à l’échelle de la carte, et je ne sais pas à quel moment la claque à 40 nœuds arrivera. J’espère passer avant elle. A minuit nous commençons à glisser lentement à l’abri derrière l’ilet des Cabrits. Nous y avons échappé et c'est tant mieux.
Même de nuit, l’arrivée sur Saint Anne est facile, la baie est immense, bien abritée.
L’ancre plonge. Je rappelle le Cross pour signaler notre arrivée ; tout est bien.
Le soulagement est à la mesure du stress emmagasiné tout au long de cette dernière journée.
Nous sommes arrivés, nous avons traversé, rien de cassé. Mais wow !
Sans cette dernière journée à la limite de nos possibilités et de celles du bateau, nous aurions facilement pu conclure que traverser l'océan est particulièrement facile.
Nous prenons conscience après coup que nous aurions pu avoir des conditions comme celle-ci plusieurs jours et plusieurs nuits d'affilée. Entre le bateau et l'équipage, on ne sait pas trop ce qui aurait lâché en premier.
C'est une grande leçon de modestie et d'humilité ; nous la retiendrons. La poursuite du voyage nous le confirmera : nous éviterons désormais les très grandes traversées trop exposées.
En ce premier Avril 2020, et ce n'est pas une blague, le blog de Ciao se remet en veille.
Revivre ces moments, réactiver les mémoires en détail permet de reconnecter aux émotions et ressentis. Les images vidéo ou les photos y aident aussi. C'est un réconfort, histoire de détourner l'attention de cet étrange confinement dont on ne sait ce qu'il nous réserve...
A bientôt peut-être ; et surtout prenez bien soin de vous.