Alors que chacun de vous se concentre sur la rentrée, il exhale ici comme un air de changement à bord de notre « vaillant vaisseau », qui commence à sentir le champ de course s’approcher…
En vision terrienne, on l’imaginerait volontiers gratter le sol de ses sabots, témoignant ainsi de son impatience et de son envie de passer à l’action à l’idée de rejoindre d’autres prés -forcément- plus verts.
Disons simplement que les eaux chaudes de ce mois de septembre émoustillent les étraves d’Agur qui s’est remis à rêver intensément des latitudes tropicales, d’outre atlantique.
Voilà comment après avoir vécu tranquillement toute une période de découverte des îles Canaries en ce début d’année, suivie d’une phase chaleureuse de partage de la vie à bord avec ceux qui nous ont rejoints pour leurs vacances d’été, nous ressentons maintenant que nous initions notre préparation à la suite du voyage.
Mais revenons quelques instants sur ce début Septembre, et ce volet de partage qui vient d’être clôturé avec Christiane, notre dernière invitée.
Juste avant son arrivée, avec les premiers jours du mois de Septembre, il s’est installé ici un régime de vents calmes, contrastant totalement avec Juillet et Août qui ont été deux mois fatigants, battus par des alizés vigoureux et soutenus, rendant les mouillages houleux nuit et jour, et limitant les possibilités de navigation entre les îles.
Derrière nous aussi les vacances remuantes des espagnols pure souche, qui entre musique à fond et engins à moteurs de tous poils (générateurs de vagues supplémentaires) semblent n’avoir aucune notion de l’espace d’autrui, à moins qu’ils estiment que leurs débordements viennent contribuer à notre agrément. Dans ce cas ils mériteraient une distinction, car certains ont dû investir des quantités de carburant pour nous ravir d’interminables circonvolutions de jet ski autour du bateau.
Ouf, ils sont repartis à leurs occupations !
Le vent fort, les vagues et les vacanciers rangés au placard, il semblait rester rien que pour nous, notre invitée et quelques autres (encore rares) voyageurs intemporels, de grandes journées chaudes baignées d’un océan à plus de 25 degrés.
Christiane a donc été accueillie tout en douceur à Tenerife Sud, et après un court amarinage au mouillage de Los Cristianos, s’est retrouvée après quelques clignements de paupières lors d’une navigation tranquille, sur les rivages isolés de La Gomera, notre préférée.
Un savoureux cocktail naturel composé de calme, de repos, de bains de mer et de soleil, épicé de la découverte de cette petite île, de visites, de randonnées, a modelé notre invitée jour après jour.
Exit les informations quotidiennes à la radio qui, à La Gomera, ne reçoit plus grand-chose, presque oubliés les Sms et les connexions internet par manque fréquent de réseau, rayés de la carte tous prémices de préoccupation professionnelle, et bienvenue à l’instant présent et aux priorités vitales : l’apéro et le trampoline !
La fatigue présente à l’arrivée s’est évaporée aussi vite que les gouttes d’eau salée sur ses épaules, qui d’ailleurs se sont mises aux couleurs locales ; les pendules se sont détraquées autorisant aussi bien les repas de midi à 16 h 30 que les siestes en chapelets, les couchers aux petites heures, et du même fait les mâââââtinées grasses.
La marraine du bateau s’est glissée sans difficulté dans les particularités d’une vie sur l’eau, faisant fi de l’idée même du mal de mer, acceptant avec le sourire quelques nuits troublées par le fracas de la houle sur le rivage, intégrant les contorsions nécessaires pour débarquer et embarquer proprement au hasard d’un quai glissant ou d’une plage, découvrant le côté précieux d’une banale douche solaire, et ravie de ressentir en permanence la caresse d’un petit air rafraîchissant qui fait défaut dès que l’on met pied à terre.
Cure de jouvence et vapeurs d’adolescence avec (soyons fous) une nuit à la belle, à compter les étoiles filantes, une autre (soyons funs !) à pêcher à l’épuisette parmi un banc d’orphies hypnotisées par les lumières du bord ; bref tout un programme sans programme, qui n’aurait pas été complet sans une salutation de tortue, un découpage de l’océan par les dorsales des « globis », et une chorégraphie de dauphins à ridiculiser n’importe quel parc à touristes.
Requinquée, revitalisée jusqu’à une future piqûre de rappel, Christiane s’est envolée le 19 Septembre vers Bordeaux, nous laissant un petit « couic » dans la poitrine.
Une conscience claire nous est apparue presqu’aussitôt : son départ marque pour nous une transition. Nous avons d’ailleurs profité de l’escale en marina pour remettre le bateau en configuration « voyage » ; la cabine « invités » redevenant espace fonctionnel de rangement jusqu’à nouvel ordre.
Nous sentons bien que les trois mois qui nous séparent de la fin de l’année passeront très vite.
Sylvie a un important programme de restructuration de son travail.
Il était question qu’elle prenne congé en fin d’année, mais tous aspects bien pesés tant du côté « employeur » que du côté « employée », elle gardera finalement son travail après y avoir apporté de gros aménagements.
Entourée de papiers couverts de tableaux et de chiffres, le regard fixé quelque part entre l’écran et le clavier, l’esprit à quelques milliers de kilomètres d’ici, le téléphone au bout des doigts et la connexion internet à portée de clic, le second du bord plonge d’ores et déjà dans une période de larges éclipses professionnelles .
De mon côté j’entreprends d’une part l’exploration des destinations à venir (cocotiers et alizés…) et j’archive soigneusement la quantité d’images photos et vidéo recueillies jusque là. Ce n’est pas le plus désagréable, j’en conviens !
Ensemble, il faut aussi nous mettre à l’anglais, utile dès le Cap vert, indispensable après.
Et pour rééquilibrer un peu les rôles, j’ajoute à mon endroit la revue complète du bateau pour débusquer tout ce qui pourrait nous gâter l’existence pendant la transatlantique, avec l’objectif d’y remédier lors de la dernière escale technique à Las Palmas en décembre.
Devant ces échéances, et comme pour un nouveau départ, l’énergie est changée.
Il nous reste trois mois, pendant lesquels notre attention sera principalement captée par ces sujets relativement prenants. Les listes de choses à penser, à acheter et à faire refleurissent sur la table du carré.
L’heure n’est donc plus aux visites des îles Canaries, néanmoins soyons sérieux, nous nous accorderons encore un nombre certain de bains océaniques profitant des douceurs de Septembre et octobre, de plongées en masque et tuba autour du bateau, soit pour entretenir la propreté des coques, soit pour lorgner sur un quelconque « Sar » ou « Perroquet » à porter au menu du jour, si toutefois la pratique de la chasse sous-marine daigne livrer ses derniers secrets (voilà un autre chapitre à porter au plan de formation du capitaine).
C’est donc la rentrée sous un autre angle !
Pas d’inquiétude, il y a peu de chance pour que le « burn out » nous guette ; conjuguer efficacité et sérénité dans ce mode de vie est à la portée des SDF (Sur Domicile Flottant) que nous sommes devenus !
Zoom : la pêche à l’épuisette
Il est minuit passé et nous sommes sur le point de regagner nos couchettes quand Michel est attiré par des mouvements d’eau tout près du bateau.
- hé, y’a des poissons !
En effet, ils sont plus d’une dizaine à tournoyer en surface, tout autour du bateau. A la lueur de la lampe torche, nous estimons que ce sont des orphies, à leur corps effilé et leur coloration bleutée.
On ne va tout de même pas aller se coucher sans se tenter une petite pêche ! Ben… Oui, mais avec quoi ? Nous n’avons ni moule, ni calamar, ni autre appât satisfaisant…
C’est quand même dommage de les voir comme ça si près, et de ne rien tenter… Voyons… et si on essayait à l’épuisette ???
Le Capitaine sourit : « Si ça marchait, la pêche à l’épuisette, ça se saurait ! »
Mais c’est sans compter sur la légendaire coopération et complémentarité qui nous lient, Christiane et moi, depuis bien des années, sans parler de notre persévérance… Distribution des rôles : une à la lampe torche, l’autre à l’épuisette, et c’est parti ! Michel quant à lui prendra son outil préféré : la caméra… (La pêche, ce n’est pas son fort, mais ça, je crois qu’il l’a déjà dit…)
Après quelques essais infructueux (en démarrant l’épuisette dans l’eau, il y a trop de frottements pour la relever d’un coup brusque), on affine la méthode : l’épuisette reste hors de l’eau, mais juste au dessus de la surface, la lampe torche attire et éblouit le poisson, l’hypnotise presque, et là, plouf par le dessus et retournement direct de l’épuisette, et vlan, c’est gagné ! Et d’un !
Vite Capitaine, pose la caméra, attrape la manivelle de winch (ben oui c’est avec ça qu’on les assomme… si on veut les manger, il faut bien… mais ce n’est pas un truc de filles, ça)
Nous reprenons alors la traque, toutes enthousiasmées par ce premier succès :
Et de 2 !
Et de 3 ! … et de 7 ! (Là, vous ne pourrez plus dire que c’est du hasard)
7 orphies pour trois personnes, c’est suffisant pour un repas, on arrête là. Et puis, mine de rien, il est presque 1h30 du mat…
Vérification faite auprès de notre « petit guide encyclopédique des poissons d’Europe », (le temps de faire retomber la tension avant d’aller dormir…) nous confirmons que ce sont bien des orphies et comprenons leur venue : « Cette espèce de haute mer se rapproche des côtes en été, pénétrant même dans les ports ou les lagunes. On la rencontre généralement en groupe à la surface. Intérêt culinaire : chair bonne, 1 fourchette » (précision : dans ce bouquin, le maxi c’est 2).
Bon d’accord, il faut bien le dire, nous avons quand même eu la chance d’être au bon endroit et à la bonne saison !!!
Je doute que la pêche à l’épuisette soit chaque fois autant productive…
Il n’empêche que cela restera pour moi un des meilleurs souvenirs. Non pas pour les poissons, mais parce que ce moment comporte tout simplement un élément qui pourrait presque passer inaperçu :
Imaginez que nous ayons envisagé des vacances bien organisées et planifiées pour visiter, découvrir, profiter pour faire un maximum de choses … Il y aurait eu un bus à prendre, une voiture à louer, une navigation en perspective… et là, il aurait été nécessaire de se cadrer dans le temps, et je doute fort que nous aurions tenté quoique ce soit à minuit passé…
Et moi, j’aime particulièrement ces moments-là, comme volés au temps, parce que rien n’est prévu… Alors, l’inattendu passe, justement par là, et nous avons tout le temps pour l’accueillir et le savourer pleinement…
Merci à toi pour avoir partagé avec nous tous ces beaux moments de simplicité.
Et rendez-vous fixé aux Antilles, ça t’apprendra !