Dimanche 10 Janvier à 15 heures, soit 7 jours et 5 heures après notre départ de Las Palmas de Gran Canaria, nous avons jeté l’ancre à Porto Tarrafal, les yeux écarquillés à scruter le rivage, le sourire des grands jours, le cœur léger.
Comme sur un nuage, soulés de grand air, de bruits d’eau, de mouvements, nous sommes arrivés !
Il fait beau, il fait chaud, 28 degrés ; l’océan est à 22.
Navigation d’exception, la meilleure de toutes celles que j’ai connues ; pas particulièrement rapide car nous nous sommes déplacés à une moyenne de 5,2 Nœuds, alors que notre bateau est capable de soutenir 6,5 N comme lors de notre traversée vers Madère, et certainement davantage.
Mais quelle expérience !
D’abord, l’une des conditions qui contribue à cette sensation agréable, est qu’aucune manifestation du mal de mer, même la plus discrète, n’est venue entacher cette navigation. Nous avons évolué à bord, avec la même facilité qu’au mouillage, nous autorisant lectures, écritures, dessins pour Syl, et toutes tâches quotidiennes habituelles sans avoir besoin de n’en escamoter aucune.
Nous avons bénéficié d’un souffle énergique qui nous a éloignés des côtes rapidement.
Puis, deux jours plus calmes nous ont fait vivre des navigations de « dimanche après-midi ». De la vraie plaisance.
Pas de stress, l’isolement total, pas de pêcheur, rien, ni même une bribe de conversation sur la radio.
Rapidement nous nous sommes surpris à assimiler la bulle d’eau qui nous entourait à notre univers du moment, rien qu’à nous, rien que pour nous ; si bien que nous négligions parfois de scruter l’horizon pour détecter d’éventuels cargos, intimement convaincus qu’ils ne viendraient pas traverser notre « territoire ».
En milieu de semaine le vent a fraîchi, c’était prévu.
20 à 25 Nœuds bien établis durant environ 36 heures, pour nous faire réviser les vraies conditions de traversée. Des creux de 2, 50 m, parfois 3 m, des surfs interminables avec des pointes de vitesse à 2 chiffres, une moyenne qui culminait, et nous, toujours à l’aise sur le bateau malgré les mouvements, à cuisiner, lire, écouter de la musique, dormir aussi.
Subitement, sur l’avant, entre deux crêtes blanches, une silhouette caractéristique s’est dévoilée ; un cargo !
Ce tas de ferrailles a quand même osé croiser notre route ! Et de très près ; nous nous sommes déroutés un instant, c’était nécessaire. Il est passé à 500 mètres, comme pour bien nous rappeler qu’au beau milieu d’un rêve, la réalité existe toujours…
Après son passage, l’immense bulle bleue s’est reformée tout autour, immaculée…
Au cours de cette navigation, nous n’avons aperçu que deux autres navires, beaucoup plus loin. A peine avons-nous eu le temps d’analyser leur trajectoire qu’ils avaient disparu.
En, deuxième partie de la semaine, un vent modéré s’est réinstallé, l’océan s’est apaisé, Agur a ralenti, nous laissant le temps de goûter à nouveau l’essence de ces moments dépouillés.
Nous sentions l’arrivée doucement s’approcher, avec déjà un regret naissant à l’idée que ce soit déjà bientôt fini.
Encore trois jours…
Plus que deux jours…
Même si les lignes de pêche sont restées muettes au fil des jours (comme d’habitude), j’ai pêché autre chose de plus intime pendant cette navigation.
A la clé, très personnelle, des prises de conscience, des remises en questions, méditations, introspections, découvertes intérieures, appelons cela comme on veut, j’ai perçu exactement ce que je suis venu chercher dans ce voyage. Chemin indescriptible, vers d’autres ouvertures, d’autres conceptions ; sensations de plénitude, de sens de vie ; tout cela je le précise, sans fumer des algues ou autre substance spéciale, et sans breuvage alcoolisé !
Peut-être un jour, pourrai-je y mettre des mots plus concrets…
Syl, de son côté, a couché quelques textes sur ses carnets, peut-être les couplets d’une future chanson, ou des points particuliers à partager entre-nous prochainement ; peut-être les deux…
Nous avons beaucoup échangé, nous nous sommes incontestablement enrichis de quelque chose.
Nous avons choisi d’atterrir sur l’île de San Nicolau, l’une des plus authentiques de l’archipel, là où le tourisme n’a pas encore fait ses ravages.
San Nicolau, c’est facile à traduire ; et c’est aussi un petit clin d’œil involontaire lorsque l’on sait que Sylvie est née le jour de la Saint Nicolas, et que précisément, lorsque j’étais petit enfant et que l’on me posait la sempiternelle question : qu’est ce que tu veux faire quand tu seras grand ?
Je répondais : je veux être Saint Nicolas ! (l’alter égo du père Noël dans les régions du Nord et de l’Est).
Après le clin d’œil, voici le sourire :
A une heure de l’arrivée, sur l’arrière plan de l’île île toute proche offrant son superbe relief accidenté, des globicéphales nous ont salués, puis des dauphins à quelques minutes d’intervalle.
Ces apparitions discrètes ont été interrompues par la ligne de pêche que nous avons subitement remarquée totalement déroulée.
Une dorade Coryphène s’était offerte en cadeau de bienvenue ! Le poisson emblématique des traversées océaniques. Jolie, jaune fluo avec des reflets verdâtres, facile à remonter, filets généreux, bref le poisson apprécié des voyageurs en mer.
Nous nous préparons maintenant à débarquer à Porto Tarrafal, pour les formalités, prendre la température locale, quelques repères, et trouver un point internet pour poster ce petit mot.
La nuit prochaine s’annonce bonne, le sommeil profond !
Il y aura fort probablement un complément d’écritures à venir concernant cette première escale hors du territoire européen.
Déjà, il me fallait annoncer rapidement notre arrivée à ceux qui attendaient de nos nouvelles…
A bientôt sur nos flots.