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22 mars 2020 7 22 /03 /mars /2020 14:35

Voici comment ça se passe dans notre petite sphère :

2020 03 22 - Confinement - jour 5

Ici, dans notre campagne de la Drôme provençale, le ciel est bleu, le soleil inonde le paysage de vignes qui nous entoure, le romarin en fleurs enivre des dizaines d'abeilles, le printemps réveille la végétation, et de temps en temps un engin agricole passe encore devant chez nous ; nous ne repérons aucun indice d'une quelconque modification sociétale.

2020 03 22 - Confinement - jour 5

Peut-être, si on nous posait la question : "tu ne remarques rien ? Là dans le ciel !"

On s'apercevrait, en effet, qu'il n'y a rien.

Plus aucune trace d'avion ; le ciel a retrouvé ses apparences d'il y a un siècle.

D'un point de vue écologique c'est le rêve !

 

"Et là, écoutes, tu n'entends rien ?"

En effet ! Rien ! Le niveau sonore général est au plus bas. De légers pépiements d'oiseaux au loin c'est tout...

 

Nos habitudes journalières, c'est sûr, changent. Quitte à nous intoxiquer nous regardons maintenant les infos chaque jour, souvent deux fois, les régionales, puis les nationales en changeant de chaîne pour tenter de bénéficier d'approches différentes. Nous scrutons internet.

 

Nous y voyons la carte du monde couverte de points rouges chaque jour de plus en plus gros, des villes devenues désertiques, des quantités de malades sous cloche, des infirmières en pleurs, des cercueils.

D'un point de vue sanitaire c'est l'enfer.

 

Toute activité non indispensable aux besoins primaires est arrêtée.

D'un point de vue économique c'est le cauchemar !

 

Nous n'avons pas arrêté notre travail, il s'est arrêté tout seul.

Agent commercial dans l'immobilier professionnel : plus aucun client investisseur n'appelle. Solliciter des vendeurs est totalement déplacé, hors sujet. Notaires et avocats sont confinés, en service minimum. Les banques sont aux abonnés absents.

Aucun déplacement possible.

Ça, c'est fait !

 

Animation musicale dans les crèches et autres structures accueillant des enfants : plus d'école, plus de crèches, plus d'animations. Ça aussi c'est fait !

Sylvie reste la seule sur le pont depuis une semaine, dans son rôle attaché à la comptabilité, pour dénouer l'écheveau administratif  qui consiste à indemniser les salariés en chômage partiel.

 

Nous ne sommes pas du genre à nous ennuyer pour autant, de plus nous avons la chance d'avoir un extérieur. Il faut reconnaître que c'est, pour nous, un confinement doré ; nous en avons conscience.

Nous vivons en autonomie sur une petite réserve alimentaire qui tiendra encore une semaine. Nous pensons à la méthode à adopter pour la recharger prudemment.

Sylvie gère avec précision et méthode. Diversité, équilibre, plaisir, quantité, dates de péremptions. C'est une gestion de crise, discrète, efficace, confortable.

 

A notre échelle pas de souffrance donc, pas de questionnement pour le présent mais il y en a d'autres plus larges...

Et après ? Et d'ailleurs quel après ?

 

Il nous semble bien que le monde navigue à vue dans un épais brouillard. De pollution peut-être.

La partie émergée d'un iceberg vient d'apparaître droit devant ! Il n'y a pas d'équipement de sécurité pour tout le monde...

 

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Janvier 2016 - Sur le voilier en transatlantique - Jour 5

 

Nuit agitée. Avec ce niveau sonore et les mouvements incessants du bateau, le sommeil est difficile à trouver jusqu'à ce que Morphée nous happe à l’usure. Et là c'est le plongeon profond, direct dans les abîmes.

Pendant mon quart de veille, ce qui ne devrait être qu'un léger assoupissement, s'apparente plutôt à un évanouissement.

Mes rêves coïncident avec le réel. Je suis en pleine course de 4x4 sur une piste à bosses, ça secoue, ça brasse, je m'accroche ; un téléphone sonne indéfiniment jusqu'à ce que je réalise que c’est le réveil des 30 minutes pour le tour de veille… Bon sang !

Je mesure que la sécurité est toute relative dans ces conditions. Mes idées ne sont pas très claires. Seulement un tiers des neurones sont sur le pont ; les autres, dans la brume, n'ont qu'une seule envie : replonger. Et ils replongent.

 

Nos anges gardiens veillent sur nous. Notre fidèle compagnon, en qui nous avons placé notre confiance à un haut niveau, file vers l'ouest sans broncher, sans rechigner. Nous ressentons sa robustesse, sa fiabilité. C'est un bon bateau, et nous l'avons bien préparé !

 

Dès que la lumière le permet j'aperçois un poisson volant sur le trampoline, et un autre en pied de mât. J'attends que Sylvie soit présente pour prendre le risque d'aller sur l'avant du bateau afin de les récupérer.

C'est illusoire d'imaginer qu'elle puisse faire demi-tour si je tombe à l'eau, mais au moins si ça devait arriver elle sera présente, elle saura... Depuis le début de la traversée une pensée noire nous hante : que l'autre fasse une imprudence la nuit, et qu'il ne soit plus là au changement de quart.

C'est le pire scénario.

Nous nous sommes donc mutuellement, et très strictement, interdit toute sortie du poste de barre, la nuit, seul.

S'il est nécessaire d'intervenir sur l'avant, il faut nécessairement réveiller l'autre.

De plus, en conditions agitées comme c'est le cas aujourd'hui, le harnais accroché à la ligne de vie est systématique.

Confiants mais prudents.

 

Ça nous en fait 4, le repas est pourvu.

Dans l'assiette, le poisson volant, par sa taille, est entre sardine et maquereau. Nous découvrons un goût assez fin, mais assez peu de chair pour l'apprécier pleinement... Pas mal d'arêtes. Plus d'inconvénients que d'avantages. Il n'est pas certain que nous gardions les prochains.

 

Le rodéo continue ; force 5 depuis hier, les vagues sont bien rondes, 2 mètres 50 environ. Entre deux ondulations, dans le creux, l'horizon est à 20 mètres. Sur le haut des vagues, nous supervisons un alpage bleu avec des centaines de moutons.

Nous passons incessamment de l'un à l'autre, nous sommes sur le balancier de la Grande Horloge.

2020 03 22 - Confinement - jour 5

Nous avons amélioré notre moyenne générale.

A 6,5 nœuds, elle nous permet d’espérer boucler en 14 jours. C’est le minimum qui semble à notre portée ! 

 

A midi nous sommes au 17.20 N - 37.38 W

2020 03 22 - Confinement - jour 5

Nous calculons sans cesse, pour nous occuper, pour nous motiver. Nous sommes à 30 % de la distance totale. 

 

Nous nous interrogeons sur l'évolution de la météo.

Depuis 5 jours nous n'avons pas réactualisé. Nous rechignons à le faire, car nous savons que les connexions par le téléphone satellite sont très lentes et vont dévorer le maigre forfait dont nous disposons.  Pour le moment il n'y a pas de signe inquiétant, nous refermons le sujet.

 

Nous surveillons les voiles, les instruments de navigation, mais finalement très peu l'horizon. Nous prenons conscience que la question de savoir s'il pourrait y avoir quelqu'un à proximité n'existe plus.

C'est devenu notre océan. Une sorte d'évidence.

Il nous parle ?

Parfois des "hou", "hé", "ho" nous font l'effet de voix humaines. Des bribes de mélodies nous parviennent. Le vent, l'eau, le bateau, tout devient instrument à cordes, à vent, à percussion.

 

Dans les larges moments d'introspection qui sont à notre disposition, des questions de sens apparaissent. Où est la liberté ? L'immensité est là, la solitude aussi, mais la liberté de quoi ? Où?

 

Cette traversée, avec ses conditions très spécifiques, s'apparente à une loupe à fort grossissement. C'est une petite vie à elle seule.

Au début elle scintille de son potentiel, des rêves qu'elle suscite.

Puis le vécu, les imprévus, les inconnues, notre positionnement par rapport aux risques, aux peurs, au temps, la façonnent à notre image par l'instrument de nos choix.

J'observe attentivement.

Pour moi, c'est bien plus qu'une traversée maritime, c'est un parcours initiatique.

 

Dans un copier-coller d'un moment sur l'autre et d'un jour après l'autre, le jour 5 ne va plus tarder à enfiler ses longues mitaines noires pour tendre la main au suivant.

 

Au revoir Jour 5, tu as été unique, nous ne te reverrons plus, mais nous nous souviendrons de toi et de chacun des autres.

 

Bonne nuit bon quart ! A demain !

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  • Je suis né dans un petit village du Nord de la France ; 1/2 siècle plus tard, je me réveillais tous les matins avec l'envie d'aller voir de l'autre côté de l'horizon...
J'ai rencontré Syl, et ensemble nous prenons le départ en 2014...
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