Prolongation à Cascais…
Dans mon précédent article j’évoquais notre autonomie en carburant et j’ignorais qu’un épisode supplémentaire devait venir s’inscrire ici, pour l’anecdote, et aussi pour partager ma réelle incompréhension du monde dans lequel nous évoluons…
Nous avions décidé de prendre le départ Lundi 11 Août, en direction de Sines (Portugal) qui se trouve à environ 10 ou 11 heures de navigation au Sud de Cascais.
A 08 heures 45, le bateau totalement préparé pour le départ, nous relevions notre mouillage et quelques minutes plus tard nous nous présentions au ponton de la station service de la marina, afin de faire le plein tant désiré, sachant que l’ouverture de la station est à 09 heures.
Une vedette à moteur de bon gabarit mais pas encore extravagante, un petit yacht dirons-nous, était arrivée dans la nuit et avait pris place devant les pompes ; deux personnes s’affairaient avec les pistolets des distributeurs.
Nous avons appris rapidement que la pompe « gros débit » était en panne, et que la vedette devait remplir ses réservoirs avec la pompe « normale »…
Par contre ce qui ne nous est pas apparu immédiatement comme une évidence, c’est le temps que cela prendrait, et qu’il allait falloir attendre notre tour… Le capitaine du yacht s’est empressé d’émanciper notre naïveté, en annonçant qu’il lui faudrait 2 heures 45 pour faire le plein.
Quoi ? What ? Que es ?
J’ai cru mal entendre ou mal comprendre, j’ai dû loucher bizarrement sur mon interlocuteur, et le yachtman a lu sur mon expression que j’avais vraisemblablement un petit problème d’échelle.
En effet, je suis habitué avec les repères de notre bateau, son réservoir de 250 litres (c’est déjà pas mal, c’est 3 à 4 fois celui d’une voiture) et la consommation de nos moteurs qui est de 2,5 litres à l’heure environ. Je trouve déjà le rendement assez minable pour le déplacement effectué, et c’est aussi ce qui me motive à avancer majoritairement à la voile.
Monsieur, lui, s’apprêtait à ajouter 4000 litres de gasoil dans ses soutes me dit-il…
Waouh ! Suffisamment pour qu’une famille puisse se chauffer pendant 2 hivers dans une maison au Nord de la France !
Et pour bien ancrer son propos, il a précisé, tout content de la performance, que sa consommation en vitesse de croisière était de 400 litres à l’heure.
400 litres à l’heure… Si par hasard j’avais été en train de compléter mon petit déjeuner par un croissant ou une chocolatine, pour sûr je m’étouffais !
Loquace et fier de son embarcation particulièrement énergivore, ce monsieur m’apprit qu’il pouvait emmener au maximum 6000 litres de carburant, et que 14 heures de navigation à 20 nœuds (36 km/h) de moyenne, suffisaient à vider la réserve.
Bug !
Alors ne trouvant plus de quoi répondre à ses propos, je me suis mis mentalement à retourner ces chiffres dans tous les sens, pour vérifier la cohérence, et en même temps l’invraisemblance :
En effet l’opération est juste : 14 heures à 400 litres/h, et à peu de chose près les 6000 litres sont convertis en rejets de Co2 ! Incroyable !
Mes calculs se font rapidement, et je n’en reviens pas ; en 14 heures on ne couvre pas une grande distance, même à 20 nœuds ; cette vedette vient de Cannes, et va à Vigo (Nord-Ouest de l’Espagne), et elle doit être à son 4° plein du voyage ! Il lui faudra environ 24000 litres en tout…
Allez ; par dépit je m’amuse un peu ; à 1,40 Euro le litre, la croisière de Cannes à Vigo, revient à 33000 euros ; ou encore chaque heure, l’embarcation a parcouru 36 kilomètres qui ont coûté 560 Euros. Ca ressemble à une blague ; et pourtant…
Elle a volatilisé une ressource précieuse et -on le sait- limitée, elle a pollué sans aucune logique par rapport au déplacement effectué.
Non-sens absolu ; et en même temps réalité palpable !
C’est un jugement personnel peut-être, et je l’assume. A l’époque où l’on vit, avec la conscience de notre impact sur l’environnement, et la conscience de la détresse de certaines communautés qui luttent pour leur survie, je ne comprends vraiment pas.
Nous étions en présence d’une vedette de 22 mètres, taille tout à fait modeste et courante parmi toutes celles que nous rencontrons, et en imaginant l’impact global, je ne peux assimiler comment un individu sensé est capable aujourd’hui d’admettre participer à une telle stupidité.
Et pourtant, la personne que nous avons côtoyée n’a pas l’air diminuée mentalement bien au contraire ; j’ai appris que c’était le patron d’un chantier naval espagnol, construisant des unités comme celle-ci ; cette vedette était d’ailleurs un modèle de présentation…
Lors de nos échanges (limités à cause de la langue) il m’a dit nous envier dans notre aventure de voyage à la voile. Je l’ai invité à faire de même ; impossible ! A-t-il répondu je dois aller travailler !
Espérons qu’il s’arrête prochainement, ainsi que ses homologues ou concurrents, de construire des engins aussi absurdes… Où alors qu’ils mettent leur intelligence à profit pour trouver d’autre moyens de propulsion plus éco-logiques dans tous les sens du terme.
La pompe s’est libérée vers midi, et il était trop tard pour entreprendre notre navigation vers Sines et arriver avant la nuit. Qu’importe, nous en avons pris notre parti.
Nous avons reporté en conséquence notre descente vers le sud Portugal, car le vent annoncé est vraiment très fort sur quelques jours…
Repos, détente, et « zenification » sont au programme de cette attente !
A tout bientôt sur le blog de Ciao…