Quand le beau temps est là, c’est un peu comme quand on a la jeunesse, la santé, ou lorsque les amours vont bien ; moi j’ai l’impression que ce sera toujours comme ça… Immuable… Eternel quoi !
J’ai dû déjà me « faire avoir » (au moins) cent fois, mais j’y crois toujours….
Alors un beau matin, je me demande bien pourquoi, quelqu’un a dû mélanger le jeu !!
Par exemple, à Majorque, en partant de Porto Cristo, on voudrait aller vers le sud, et « curieusement » le vent est fermement tourné vers le Nord, tonique, déterminé, inflexible, comme s’il nous montrait du doigt la direction à prendre. Bon je sais bien qu’en voilier, il faut adapter sa direction à celle du vent, ou attendre que le vent vienne à tourner pour enfin aller là ou on voudrait…
C’est la théorie.
En pratique, nous sentons le calendrier sournoisement avancer en arrière-plan, et nous n’avons pas envie d’attendre ni d’aller en sens inverse…
Et pourtant…
Nous avions initialement envisagé d’effectuer de contourner Majorque dans le sens des aiguilles d’une montre (distance la plus courte pour nous placer au sud, prêts à traverser vers Ibiza).
Nous aurions longé sa côte la plus urbanisée de Majorque, la plus aménagée en hébergements touristiques…
Nul ne sait si elle nous aurait plu sous cet angle, mais Il y a assez peu de chance selon nos premières perceptions ; et nous aurions vraisemblablement traversé rapidement vers l’île de Ibiza, et ses petits ilots rattachés qui semblent plus attirants.
Nous avons choisi d’obtempérer aux ordres du vent, espérant qu’il nous accompagne fidèlement jusqu’au bout… Nous décidons de faire le grand tour par le Nord… Mauvaise pioche ?
Après un départ fulgurant (allure de nature à mettre à l’épreuve les (menus) biceps du second qui tenait la barre) toutes voiles dehors, Ciao avale facilement et rapidement les 25 milles qui nous amènent au mouillage de la Cala Aguila, derrière la Pointe Nord Est de l’Ile (Cabo de Pera).
Nous avons la surprise et le plaisir d’y revoir un couple de canadiens (Michel et Martine) sur leur bateau rouge « La foret d’eau ». Nous les avions croisés sur la plage de Porto Cristo, en débarquant avec l’annexe. C’est en voyageurs davantage intéressés que curieux, nous avions réciproquement échangés les grandes lignes de nos projets… Ils sont partis du Canada depuis 2 ans, avec un seul regret disent-ils… De ne pas l’avoir fait plus tôt…
Personnages sympathiques, qui portent sur eux, tout en couleur, les 2 ans d’aventure qu’ils viennent de vivre à la quelle ils adhèrent, arborant fièrement qu’ils se déplacent à 95 % à la voile (c'est-à-dire en composant avec le vent ou l’absence de vent et en utilisant le moteur qu’exceptionnellement… Bravo pour l’exploit ! Sur Ciao, si nous tenons les 50 % ce sera pas mal…); ils nous évoquent une année en escale aux Açores, les mouillages du Portugal employant des qualificatifs qui s’échappent de leurs lèvres avec engouement…
Nous faisons des parallèles avec notre vécu du voyage, jusqu’à ce jour, et nous constatons que le temps nous manque pour pouvoir envisager de musarder ici ou là, et d’attendre le vent …
Le lendemain, d’un autre bond tout aussi rapide et glissé, (Eole est fidèle au rendez-vous) « Ciao le brave » pointe ses étraves vers le Cap Formentor (Pointe Nord-Ouest de l’île), et nous pose juste avant le cap, dans la cala « En Gossalba ».
J’avais repéré l’existence de cette cala en lisant le blog du voilier « Renaissance », et il faut rendre à César ce qui est à César : merci à Christelle et Jean-Rémi, d’avoir mis sur la route de Ciao un lieu aussi riche en vécu et en ressentis.
Jusque-là : « bonne pioche » !
Un écrin de pierre orné d’arbustes, un théâtre de falaises, comment dire… un endroit où on hésite à entrer en se demandant si c’est autorisé tellement c’est beau et nature… Il n’y a personne lorsque nous arrivons…
La crique se termine par deux petites plages de galets, donnant immédiatement envie d’y débarquer. De vagues sentiers se dessinent parmi les roches et les pins accrochés au relief. Quelques chèvres sauvages commentent entre-elles notre arrivée…
Ciao trône au beau milieu de l’étroite crique. C’est donc tout bonnement royal !!
L’endroit est magique, des poissons tournent autour du bateau. A peine arrivés, nous mettons une ligne à l’eau avec un morceau de fromage, et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, nous remontons une jolie « oblade », puis une autre, plus grosse encore…
Ensuite plus rien ; qu’importe, notre repas du soir est assuré.
Sans doute attirés par notre présence (un bateau au mouillage en appelle souvent d’autres) plusieurs embarcations sont venues près de Ciao, puis en fin de journée elles nous ont rendu l’exclusivité du lieu… Sublime soirée intimiste, début de nuit impressionnante, noire comme de l’encre entre les murailles avant que la lune ne se lève… Silence spatial… Moments d’éternité…
J’ajoute pour les voyageurs qui, au hasard des clics, liraient ces lignes ; si vous passez par là, enfoncez-vous à pieds en suivant le sentier qui part de la plage et remonte le torrent à sec. Au terme d’une marche d’environ 45 minutes, parmi les pins, les petits palmiers, les rochers et les chèvres, vous arriverez sur les sommets de l’île, avec un point de vue vertigineux sur le cap Formentor et ses abords. C’est la cerise sur le gâteau de cette escale de charme !
Dans la nuit, quelqu’un a encore mélangé le jeu… Le mouillage s’est agité, laissant entrer une houle assez forte. Nous avons très mal et très peu dormi ; j’ai dû aller vérifier plusieurs fois si l’ancre tenait bon. Excès de précaution certainement, mais c’est ainsi que l’expérience s’acquiert…
A partir de là, « la pioche » devient moins bonne…
Plusieurs fois, nous entamons des navigations que nous sommes contraints d’écourter car le vent s’est inversé en cours de route, ou au contraire il nous a malmenés avec des courtes vagues de 2 à 3 mètres dans tous les sens comme c’est le secret de la méditerranée… Nous faisons de nombreuses escales intermédiaires, inconfortables elles-aussi…
La fatigue s’accumule, et pendant ce temps le calendrier feuillette ses pages bruyamment.
Le bateau se comporte bien, dans les surfs, le GPS enregistre notre vitesse maxi jusqu’alors, de 11, 2 nœuds... (pour donner un repère aux terriens, en voilier de croisière, quand on avance à 6 ou 7 Nœuds on est content, 8 est presque un luxe !)
D’escales en escales, nous trouvons que décidément le tour de Majorque se révèle bien long même si la côte Ouest se révèle superbe… C’est un dédale rocheux, abrupt, insolent, sauvage, inhabité et inhabitable, impossible à accoster sauf à de très rares endroits (comme Porto Soller par exemple)…
Après 8 jours dont le programme n’a pas été réellement choisi, Nous sommes à Andraitx (petit port avec zone de mouillage, au sud de Majorque) un créneau se dessine pour traverser et aller vers Ibiza, mais il est court ; il faut jongler entre deux rotations de vent, c'est-à-dire faire confiance à la météo… La durée de la traversée est d’environ 12 heures… Nous constatons que si « par hasard » la fin du créneau s’avançait de quelques heures, nous serons au milieu de la traversée avec du vent fort et contraire (impossible à remonter en catamaran). Situation pas très tentante…
Concertation de l’équipage, pour admettre que indépendamment de notre envie d’avancer il y a encore beaucoup de fatigue résiduelle…
Nous changeons alors de lieu, pour trouver un refuge plus calme et mieux orienté que Andraitx. A 1 heure de là, nous jetons l’ancre à Camp de Mar. Très bon abri pour les vents de Nord Ouest, et nous y attendons que les conditions soient plus stables pour traverser vers Ibiza. Bonne option finalement. Nous récupérons sainement, déplorant d’être arrivés dans une « crique poubelle » qui a accumulé des sacs de plastique par dizaines. Pas de baignade donc…
Nous venons de passer 8 jours sur Majorque avec la sensation de ne pas avoir réellement fait de choix ; nous nous sommes simplement adaptés, avec parfois de bonnes surprises, mais sans globalement y trouver vraiment notre compte…
Et notre « crédit temps » aux Baléares touche à sa fin ; nous savons que nous allons inévitablement devoir écourter la visite à Mélissa, métisse d’ Ibiza…
Go ! Au terme de 12 heures de navigation paisible, nous atterrissons sur l’ilot Tago Mago au nord-Est d’Ibiza ; petit caillou qui nous offre un abri de la houle pour la moitié de la nuit, et nous laisse profiter de l’agitation la seconde moitié, le vent s’étant encore inversé…
Passer à Ibiza (l’île) sans voir Ibiza (la ville) ce serait dommage… disait Syl !
Me ralliant ainsi à son envie de découverte de ce lieu, nous décidons de rentrer au port d’Ibiza pour être au cœur du sujet.
J’aurai envie de m’attarder plus tard sur ce ressenti et ce vécu de 24 heures à Ibiza, et je lui consacrerai certainement une page ultérieurement…
En synthèse, je peux écrire que nous en emportons un souvenir marqué, qui justifie pleinement notre décision d’escale dans cette ville où rien n’est vraiment comme ailleurs…
En quittant Ibiza, nous descendons rapidement sur l’île de Formentera.
Formentera ; c’est précisément là où nous aurions aimé nous attarder quelques jours ; selon les informations disponibles sur internet, et divers récits, cet endroit isolé, semblait avoir conservé des mouillages clairs et tranquilles, de possibles lieux de paix et de sérénité où nous comptions fermer le volet des îles Baléares.
La bonne blague !
Les lieux sont sympathiques certes, l’eau cristalline et chaude, sans aucun doute mais la chose a dû s’ébruiter…
Nous sommes effarés de constater qu’il y a pratiquement autant de bateaux au mouillage que de voitures sur le parking d’un centre commercial un samedi… J’exagère à peine !
Les lieux sont saturés de fréquentation, et nous ne sommes qu’à la mi-juin…
Le spectacle est saisissant ; Il y a bien quelques « petits bateaux » mais nous slalomons essentiellement entre des vedettes plus somptueuses les unes que les autres ; plus loin, un « fameux-trois-mâts-fin-comme-un-oiseau-hisse-et-oh-Santiano ! »… Puis un yacht, un navire, appartenant à on ne sait quel milliardaire, nous observons au passage le manège des membres d’équipage au service de cette personnalité… Sur quelle planète sommes-nous ?
Bien évidemment, avec notre Ciao aux allures de 4x4 des mers, nous tentons de nous poser à l’écart de tout cet étalage, par 2 mètres de fond, et nous profitons des 26 °de l’eau de cette immense piscine…
Nous serons délogés un peu plus tard suite au passage d’un des ferries desservant le port de « La Savina » ; ce monstre se déplaçant à une vitesse hallucinante, lève des vagues qui arrivent sur Ciao sans que nous ayons le temps de réagir. Basculement latéral, une coque, puis l’autre, et on recommence ; les tasses à café sortent de leurs rangements, la cafetière se retourne, le frigo s’ouvre, tout se qui n’est pas rangé décolle, et notre Syl est cramponnée dans le cockpit convaincue qu’elle va passer par-dessus bord… Ciao n’en fait rien, (il tient trop à son équipière), mais si nous voulons conserver un peu de vaisselle intacte, il semble raisonnable d’aller ailleurs…
Moins de 5 minutes plus tard, nous levons l’ancre et rejoignons le « parking du supermarché » le temps d’étudier les cartes et définir un autre point de chute loin, malheureusement très loin des charmes rêvés de Formentera ou le hors-saison se situe vraisemblablement autour du 32 février…
A l’heure de ces lignes, nous sommes en escale à Alicante ; les îles sont loin derrière, et en ce qui me concerne, je reconnecte pleinement avec le concept du voyage en bateau ; nous avançons au fil des possibilités, découvrons des lieux moins fréquentés, moins apprêtés, ou la part d’inconnu est plus vaste, tout simplement parce qu’on en attend rien. Je préfère, et de loin…
A Alicante, le thermomètre affiche 36,9 degrés dans le carré du bateau ; nous sommes écrasés par la chaleur, et nous sommes à l’heure espagnole attendant la relative fraîcheur de la soirée et c’est l’occasion de finaliser ces lignes.
Ce soir, à Alicante, démarre la fête du Solstice d’été ; du 20 au 24 Juin ce seront 4 jours de fiesta à l’espagnole, les rues du centre-ville sont bloquées ; tels des chars de Carnaval, des réalisations artistiques de dizaines de mètres sont érigées aux quatre coins des quartiers représentant des personnages historiques ou des figures de dessins animés… Les terrasses couvrent des rues entières, les podiums musicaux à peine distants les uns des autres promettent une nuit à un niveau élevé de décibels.
Nous ne resterons qu’un soir !
Et le prochain article dans ce blog, dépendra de notre capacité à gérer cette tempête d’un autre genre…
A bientôt…
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