Le propos de cette page, relate un vécu d'apparence assez ordinaire sur la côte Nord de l' Espagne, en Juillet-Août 2010.
C'est une croisière cotière en voilier, qui pourait se qualifier de "banale ballade estivale" ; un tout petit programme qui, à bien y regarder, serait un peu dans le style "Iceberg"...
Température polaire ? Ambiance glaciale ?
Non ! Rien de tout cela...
Le "style Iceberg" tient dans la particularité que la partie visible de l'iceberg ne représente que 10 % de son volume global.
Comprenons que derrière ce petit bout de vacances anodines, se sont joués discrètement plusieurs tableaux au sein de l'équipage de Ciao...
Pour moi le skipper, c'est le moment de reprendre le départ ; un nouveau départ serait le terme plus approprié...
Réapprendre la mer, le voilier, les réflexes, après une interruption de navigation de plus de 5 ans, mais surtout réapprendre à vivre différemment la totalité du "concept bateau". L'enjeu est là...
Avant...
Avant, je naviguais en mer du Nord ; j'ai traversé plusieurs fois vers l'Angleterre et ses brouillards tenaces, je me suis balladé vers la Belgique ou la Hollande, louvoyant entre les bancs de sable et les cargos, composant souvent contre une petite brise fraîche d'Est, pour avoir au moins la garantie du soleil ... Il y a eu aussi une descente en baie de Seine, jusque Rouen, pour rejoindre l'Armada de la Liberté... (joli nom !)
Vers les années 2000, changement de bassin de navigation : la méditerranée ! La côte d'Azur... Le remuant golfe de gênes, la Corse... Des conditions différentes, et plus agréables, le soleil, la chaleur, les fonds transparents, les bains de mer depuis le bateau...
Je naviguais, en famille esquivant soigneusement les trop mauvais coups, rassurant au mieux les angoisses de ma compagne, cherchant à créer un climat de vacances dignes d'un tour-opérator, mais qui devenaient en fait de plus en plus stériles...
Petit à petit, sans m'en rendre vraiment compte, j'intégrais un mode de fonctionnement réducteur.
Je ne vivais que très partiellement mon plaisir de la naviguation ; je gardais en filigranne la conscience qu'il n'y ait surtout pas de dérangement, pas d'inconfort, pas de risque pour l'autre, pour les enfants...
C'est compréhensible et c'est en même temps un cahier des charges difficile à tenir en voilier...en mer...
Petit à petit, je me suis fabriqué une croyance logique, que le bateau était quelquechose d'essentiellement masculin, et qu'il ne plaisait pas aux femmes. Au mieux, pouvaient-elles le supporter, passagèrement, provisoirement, pour donner le change d'on ne sait vraiment quel sacrifice dans l'autre sens....
Partir en 2010, chargé de ce genre de bagages, avec une nouvelle équipière qui elle, n'a jamais navigué, (si ce n'est que quelques tours devant Hendaye pour essayer le bateau) avait en effet toutes les chances de provoquer un certain tanguage...ou peut-être même ...un faux-départ !
Moteur et petit vent de force 2 à 3, mais exactement de face, avec une jolie houle pour démarrer vers San Sébastien. Pour cette première vraie sortie, ce n'était pas forcément la meilleure configuration que j'aie pu imaginer...
Une demi-heure de cet inconfort (pourtant mineur), m'a fait conclure qu'un demi-tour et quelques jours au mouillage en face de Fontarrabie (premier port espagnol en vis à vis de Hendaye), permettraient d'amariner les estomacs et d'harmoniser un peu les choses pour tenter un nouveau départ si possible "vierge d'autres expériences", ou en tous cas proprement gommé !
Il paraît que la vie nous sert toujours ce qui est le mieux pour nous...
Nous sommes à 1/2 mille de notre point de départ, c'est donc notre première escale... Un saut de puce...
Pause... Retour sur image... On reprend tout à zéro... Apprendre à se laisser vivre, lâcher prise...
Cà se révèle plus facile à dire qu'à faire !
Progressivement, la douce nonchalance qu'engendrent les balancements du bateau au mouillage contribue à me détendre ; les discussions avec mon équipière aussi...
L'atmosphère se pose, petit à petit, à la manière de ces boules à neige, après qu'on les ait brassées dans tous les sens...
Pour Sylvie, équipière novice, sa page est blanche ; pas d'à priori ;
"""le bateau ? Connais pas ! C'est une expérience """ dit-elle...
Ou encore :
"""je ne sais pas si j'aime, ou si je n'aime pas... Je ne sais pas si j'aimerai... Je ne peux m'engager en rien... Je vis l'instant et j'écoute mes ressentis..."""
Hum... C'est clair et en même temps, je ne sais rien de ce que sera demain ; c'est un peu comme la mer, la météo...On ne peut faire que des estimations à très courte échéance... Je suis content, mais perplexe...
Pourvu que le beau temps reste !
Re-départ et première navigation par grand beau temps, force 3 de travers, puis brise mécanique, et escale quatre heures plus tard ; une bonne petite première celle-là !
Guétaria : le joli petit mouillage niché entre la plage et le port, accueille bien plus d'embarcations qu'il ne peut en contenir ; la plage est aussi bondée que le mouillage. Les jet-skis et les annexes entretiennent un clapot déjà bien présent... Les enfants crient ; de la musique se mêle aux bruits de moteurs...
Nous sommes Dimanche après-midi sur une plage Espagnole... Olé !
Je suis là, à me me demander ce que j'y fais...
Ce n'est pas mon idée des mouillages, ni des vacances en bateaux ;
Je me dis que c'est un bien mauvais repère pour mon équipière... (Tiens ! je note la contre-attaque de mon blues d'antant...)
"C'est comme c'est" me dit-elle !
"Arrête donc de vouloir les choses... Vis-les comme elles sont ! "
Ah ! oui ! Vu comme çà ...
En soirée nous rentrons dans l'avant port, amarrés entre deux immenses bouées destinées normalement aux chalutiers. Débarquement dans l'annexe, pour aller au restau... C'est rigolo çà ! Le retour aussi ... le petit vin espagnol aidant...
La fête foraine à 50 mètres de là où nous sommes, envoie ses boum-boum jusqu'aux petites heures du matin.
Le "c'est comme c'est..." aussi, me résonne encore...
Avant de m'endormir, je m'interroge sur ce que je recherche vraiment...
Les questions de fond arrivent : pourquoi cette attirance pour le bateau, alors que personne dans ma famille, ne s'est jamais intéressé de près ou de loin au monde marin...
Jusqu'où j'ai envie d'explorer ce mode de vie ? Est-ce que çà me correspond vraiment ? Suis-je un plaisancier du dimanche ou un voyageur ?
Naviguer loin, à l'autre bout du monde ... Un simple rêve ?
Ils sont loin les clichés des îles ; et pourtant quelque part en moi, j'aimerais être un voyageur au long cours ; pourquoi donc ?
Le sommeil m'apportera le silence dans les oreilles, mais... point de réponse...
L'étape suivante s'impose d'elle-même ; nous ne sommes qu'à 4 heures de notre point de départ, mais nous avons besoin de recharger les batteries du bateau, et de refaire le plein d'eau. Nous sommes en fait partis depuis 4 jours déjà... Nous relâcherons à la marina de Zumaïa.
Port de plaisance classique... un parking à bateaux, comme un parking à camping-cars, avec 20 Euros à la clé...et une bonne douche bien chaude ; bienvevue celle-là !
Malgré les invitations de Sylvie à relâcher mon attention, j'ai toujours un oeil critique sur l'allure que prennent ces vacances...
Après tout, elles sont sensées être révélatrices pour moi de mes intentions profondes ; et je les identifie mal encore...
Pour Sylvie, ce petit échantillon de quelques jours en côtier conditionneront certainement sa manière d'appréhender ce milieu nouveau...
Ce n'est en tous cas pas la marina de Zumaïa qui nous éclairera sur le sujet...
Bien que notre sortie en ville, et la découverte par hasard d'un petit restaurant d'hôtel (qui se révèle économique et de bonne prestation), nous ravit pour la soirée...
J'ai souvent lu que l'intérêt des navigations étaient les escales ; ce principe est validé.
Moteur, encore moteur, et temps très calme, nous emmènent doucement vers l'Ouest. Nous visons le port de Motriku...
Ah ! Motriku ! Voilà le premier vrai dépaysement !
C'est un port de pêche, et rien n'est prévu pour accueillir les plaisanciers...
Il y a deux voiliers à couple de long du quai.
Un petit tour de reconnaissance, et ...Une amarre à terre, (merci madame de l'avoir attrapée) ; puis deux ; nous voilà amarrés le long d'un quai qui nous surplombe de plus de deux mètres...
Trop drôle ! A marée basse il aura environ 5 mètres d'un mur dégoulinant, émanant des senteurs de marée, et laissant apparaître des moules bien dodues qui tenteraient bien de monter à bord à chaque fois que Ciao s'en approche...
Situation simplicime pour un marin, mais suffisament insolite au stade où nous en sommes pour nous faire émerger en même temps, à l'un et à l'autre, une sensation de plaisir...et de bonheur même en ce qui me concerne.
On se sent bien ! """C'est le premier jour des vacances !""" dit-on.
Ce type d' amarrage à la sauvette, je ne l'ai encore jamais vécu ; je ne connaissais pas d'escale hors d'une marina ! Confort et sécurité obligent !
Cà s'arrose d'un petit rosé bien frais ! Quelques accords de guitare de Syl...Et me voici aux anges...
Alors dans cet instant, je perçois que c'est exactement ce type de ressenti que je recherche, en bateau !
C'est le minimum syndical en fait !
Un petit endroit charmant, où on a l'impression de vivre sa petite aventure, tout seul (ou presque).
En ce qui concerne Sylvie, elle aime l'inconnu, l'impromptu, le changement, le non-conventionnel, alors çà lui plait tout naturellement. C'est un bon-point facilement gagné, et je commence à percevoir la règle du jeu !
Pour le plaisir, nous restons 2 nuits à Motriku.
Lekeitio... même configuration ; c'est aussi un port de pêche, mais il y a beaucoup plus de monde... 10, 12, 15 voiliers se présentent au seul quai
disponible. Nous sommes à couple ; çà change de Motriku, mais çà me semble moins charmant, parceque ... c'est plus fréquenté... et puis l'effet de surprise est passé...
Nous y resterons également 2 nuits. La deuxième nous amènera à être contre le quai avec 5 voiliers à couple de Ciao. Les pare-battages sont comprimés, il faut sans cesse régler les amarres, faire de la place sur l'avant du bateau pour laisser passer les voisins.
Cà ne me dérange pas du tout.
Sylvie, quant à elle, me dit "çà fait partie du concept..."
Je constate avec plaisir que son approche est ouverte, dégagée des conventions que j'avais apprises malgré moi.
Nous faisons connaissance avec un couple de plaisanciers et ses deux filles. Ils sont sur le même parcours que nous, nous les avons déjà aperçus deux ou trois fois... Je me plais à imaginer ce que représentent "les bateaux-copains" lorsqu'on voyage loin et longtemps...
Je sens que mon virus de voyage se réveille ; il se déplie enfin de sa cachette...
Sylvie de son côté, va très bien, et çà se voit : elle a trouvé le moyen de danser un de ces airs incontournables de l'été en accompagnant un groupe de jeunes qui s'éclatait sur autre bateau... Adaptation immédiate en toutes circonstances... Quelle vedette cette Syl !
Côté plage, Lekeitio réserve un petit charme craquant, avec l'îlot San Nicolas que l'on atteint à pieds à marée basse.
Il est certain qu'avec une petite île l'endroit prend tout de suite un intérêt particulier, et y acoster en annexe nous transforme en apprentis aventuriers...
Le ton des vacances sonne juste à présent ; nous ne sommes pas loin en distance parcourue (35 milles environ), mais nous avons réuni les ingrédients que nous recherchions ; nous sommes en terrain inconnu, en découverte, avec de multiples situations et sensations nouvelles associées.
J'ai bien-sûr conscience de vivre des vacances de plaisancier, et non pas un voyage au long cours, et finalement rien d'extra-ordinaire, en fait ; rien qui mériterait une page dans un blog...
Mais j'ai conscience aussi qu'il y a derrière ce petit vécu tangible, une autre dimension...
C'est celle-ci qui est digne d'intérêt...
En laissant infuser un peu, j'entends clairement l'envie d'aller plus loin, beaucoup plus loin ;
Y répondrai-je ? Et comment ? A ce stade je l'ignore encore...
Quoi qu'il en soit, indépendament de l'issue, je sais qu'il y aura matière à enseignements...
D'ailleurs si "grand voyage", il y a, il faudrait aussi que je puisse l'envisager seul, car il n'est pas établi que Sylvie fasse partie d'un tel projet, bien que ce soit dans le domaine du possible.
Dans tous les cas il m'appartient de déplier totalement, et librement ce que je détiens au fond de moi, et seulement ensuite de voir comment çà peut éventuellement se jouer.
J'ai encore besoin d'un peu de temps pour celà...
D'autres pages en témoigneront...
Lekeitio est loin derrière... et nous progressons toujours vers l'ouest au moteur...le beau temps anticyclonique nous prive du moindre souffle ; la mer est belle. Nous apercevons çà et là des objets flottants qui ressemblent à des jouets en plastique colorés aux teintes mauves et rose-clair. Nous pensons qu'un container s'est éventré quelquepart, après être tombé d'un cargo au large ; j'apprendrais ensuite par mes lectures que ce sont des méduses flottantes...
Nous aurions préféré rencontrer des dauphins, mais peut-être ont ils réservé leur show pour une prochaine fois, histoire de ne pas tout éventer dès la première sortie ?
Getxo :
En fin de journée, nous entrons dans l'avant-port de Bilbao, vaste bassin, aux digues interminables, hérissées de grues. Il a le charme d'un port industriel ; si l'on considère que ce type d'endroit puisse être charmant.
Un suivi minutieux de la carte et du livre de bord, nous permet de trouver la marina de Getxo nichée tout au fond. Nous prenons une place pour recharger en énergie, électricité, eau, gas-oil, car depuis Zumaïa nous sommes en autonomie. Il n'y a pas d'autre marina entre Zumaïa et Getxo...
Nous allons à terre, nous marchons beaucoup à la recherche de petits commerces que nous ne trouvons pas...
Décidément nous ne vibrons pas au charme de l'endroit ; nous avons d'ailleurs un peu perdu le feeling "aventure", l'humeur et l'ambiance s'en ressentent... Ce doit être l'effet "marina"...
Il faut dire aussi que Getxo était la destination finale de l'escapade.
Sylvie a une date butoir pour rentrer, et nous devons tenir compte du temps de retour avec ses aléas éventuels.
Il est possible de mouiller dans le fond de la rade de Getxo, et nous y passons la deuxième nuit, avant de prendre la route du retour.
Elantxobe :
Lors de l'aller, nous avions volontairement laissé ce petit port, comme escale potentielle à découvrir au retour...
Nous y voilà. Elantxobe... Minuscule petit village de pêcheurs accroché aux rochers... Toute petite chicane à l'entrée, tout petit bassin ; après Getxo, nous avons radicalement changé d'échelle...
Nous nous mettons à couple d'un petit bateau de pêche, à quelques brasses de la piscine de mer que nous rejoignons à la nage en fin de journée.
Le lieu est charmant, attirant, naturel, pas du tout orienté "tourisme".
Pour ma part j'ai reconnecté avec l'esprit voyage.
Je suis cependant en décalage avec mon équipière qui, semble-t-il, a fait le tour de ce qu'elle voulait tester et ressentir...
A son horloge interne, l'heure est au retour.
Pendant qu'elle plonge dans un livre, à l'abri du taud de soleil, je visite ce village aux rues exclusivement piétonnes, étroites, escarpées. Je suis dépaysé par ce micro port de pêche.
J'en profite pour faire quelques photos, je me pose pour méditer, pour me recentrer.
J'essaye d'intégrer ce que je vis personnellement.
J'essaye de ressentir ma vibration propre, indépendament de ce peut éventuellement ressentir Sylvie;
C'est un réél exercice pour moi ; J'ai été sur-entraîné à penser d'abord à l'autre, à anticiper ses besoins, ses réactions...
La beauté du paysage m'aide ; du sommet de la falaise, la vue est saisissante ; on dirait une maquette... C'est vrai que l'on voit d'autres choses avec du recul...
Le temps est toujours aussi calme ; heureusement... et je me surprends à imaginer cette entrée de port par coup de vent d'Ouest...
D'ailleurs, à propos du temps, il semble que pour ce voyage, nous n'ayons simplement eu à gérer que le tempo des escales.
La navigation par elle-même avec ses 90 % de temps passés au moteur, est restée discrète, au point de se faire oublier même...
Ceci a un bon côté ; nous avions une harmonisation psychologique à réaliser ; des navigations intérieures à réussir en ce qui me concerne ; on ne peut pas être sur tous les fronts en même temps !
La voile, la mer, le vent, constitueront donc tout un autre (et vaste) champ d'exploration à découvrir par mon équipière pour une éventuelle prochaine saison...
A l'échelle de notre ballade, c'est une grande étape (40 milles) qui nous attend pour le retour direct sur Hendaye.
Les éléments sont calmes et sereins, la propulsion motorisée est nécessaire sur une grande partie de la route, et petit cadeau du ciel, petit clin d'oeil pour bien finir, une petite brise 2, 3, puis un petit 4, est venue à notre rencontre et nous a accompagné pour clôtuer le voyage.
Un régal sur l'allure "reine" du près-bon-plein à 7 noeuds atteints facilement, a été la note finale ...
Est-ce que c'est ce qu'on appelle la "blue note" ?