En Vrai, fais ce qu’il te plait…
Je constate que j’ai davantage de difficultés que d’ordinaire pour écrire ces quelques lignes.
Voici une quinzaine de jours que je pose petit à petit toutes les phrases qui constituent cette page, que je les relis, et que je n’en suis pas satisfait.
Je les corrige, les relis, et même constat…
Je m’interroge, et je m’aperçois que suis partagé entre les deux aspects de ce que je cherche à exprimer…
- D’un côté la simplicité d’un vécu, tellement simple qu’il pourrait sembler sans intérêt ; par exemple au regard des récits extraordinaires d’aventures exotiques au bout du monde ou de traversées insensées aux limites de l’exploit humain… Et je me dis : à quoi bon écrire des banalités, mieux vaut ne rien écrire du tout…Et je ferme ma page.
- De l’autre côté, la riche conscience que tout l’intérêt réside dans la simplicité des choses et dans la manière de les vivre simplement ; c’est important pour moi et je constate en observant autour de moi que cette apparente évidence est souvent complexe à appréhender. Alors, je reste dans mon sens, et dans le sens de ce blog... Et je ré-ouvre ma page…
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Voyons …
Nous sommes sur le concept suivant : l’équipage de Ciao souhaite harmoniser et développer son expérience, dans l’axe de futures navigations plus conséquentes, plus loin, plus longtemps, plus libre… C’est un vieux rêve du capitaine, un rêve comme il en existe d’ailleurs dans beaucoup de têtes…
Il y a aussi Sylvie, propulsée à l’évidence « second du bord », qui après avoir découvert le labyrinthe des songes du capitaine, découvre depuis un an maintenant, le concret : la mer, le bateau, la navigation, la voile, le mode de vie… Elle le découvre avec intérêt, et curiosité, et y amène en même temps et régulièrement des notions de relativité.
Zoom sur ce mois de Mai 2011, où un programme sur 8 à 10 jours est mis en place ; plusieurs objectifs se sont posés naturellement en parallèle :
· Retrouver les réflexes en mer, et se ré-amariner en ce début de saison,
· Vérifier si l’anti-fouling tout neuf glisse bien,
· Dans le cadre de la préparation à de plus longues croisières, faire au moins une navigation de nuit ; ce qui serait une première pour le second… Afin de voir si la nuit en mer, c’est vrai qu’on n’y voit rien… (même si la phrase n’est pas facile à comprendre)
· Faire une virée en Espagne, vers Lekeitio (escale que nous avions appréciée l’an dernier, et qui est distante de 35 milles de Hendaye).
· Passer une semaine agréable. (non exprimé, mais ça va de soi…)
Avant toute chose, nous décidons de faire un petit tour devant Hendaye, pour remettre les pendules à l’heure, si besoin.
Un petit vent de force 3 nous accueille et nous souhaite la bienvenue. Il mollit assez rapidement à 2 et même un peu moins ensuite, et il nous confie à la houle du large qui se charge de nous bercer de son amplitude qui atteint les 2 mètres.
Nos centres de l’équilibre comprennent aussitôt qu’ils doivent se mettre au travail activement, et nous constatons qu’ils se souviennent plutôt bien de leurs acquis de l’an dernier. C’est déjà çà ! Nous notons au passage que le fait de séjourner sur le bateau au mouillage, participe discrètement, à intégrer le côté mouvant de l’environnement ; une sorte d’apprentissage passif, plus conséquent qu’il n’y paraît…
Sur ce constat serein, Sylvie se demande par ailleurs (parmi les grandes questions de la vie prolongée à bord) comment on peut bien réussir à dormir en mer avec ces balancements incessants, et bien que nous soyons en plein après-midi, elle se propose d’essayer la couchette de navigation dans le carré, histoire de voir ce que ça lui fait...
Pendant ce temps de mon côté, je projette de regagner le mouillage à la voile ; le vent paraît suffisant pour nous amener à destination sans l’aide du diesel. A chacun son petit exercice…
Sitôt dit, sitôt fait, Sylvie disparaît donc dans le carré, en ajoutant sur un ton (pourtant) convainquant « appelle-moi, à l’arrivée au mouillage, je viendrai t’aider ».

Grand largue, 5 nœuds, et petits surfs, Ciao escalade et redescend la houle en douceur, en se rapprochant lentement des jetées de Hendaye.
Rapidement le silence qui s’est installé à bord, témoigne que les essais de couchette semblent être concluants… Une demi-heure se passe, et je retarde le moment d’appeler l’équipage sur le pont…
L’approche se déroule agréablement au vent portant.
Entre les jetées, la houle disparaît, la coque chuchote à peine quelques bulles, trace un sillage bien net, et une impression de glisse se dégage de notre déplacement. Malgré que le génois soit roulé entièrement, nous progressons à bonne vitesse sous grand-voile seule.…
En parlant bien fort à l’entrée du carré, je préviens que nous sommes en fin du chenal d’entrée… « Eho du bateau !!! On arrive !!! Tout le monde sur le pont !!! »
Nous arrivons en effet dans la baie de Txingudi où mouillent environ 450 bateaux ; c’est pour l’heure, ici qu’habite Ciao…

- Eho du bateau !!!
- Silence radio…( ?)
- Tu dors ?
- …zzz…
Bon ! Ce n’est plus le moment pour moi de quitter la barre à présent, je dois gérer la grand voile, l’erre du bateau et sa trajectoire sinueuse entre les bouées et les autres embarcations au mouillage dans la baie. Je ferai donc la manœuvre en solo…
J’aurais bien aimé partager avec Syl ce véritable régal de se glisser sur le plan d’eau calme, presque sans un bruit, avec une vitesse d’environ 3 à 4 nœuds, et d’évoluer avec la majesté d’un grand cygne sur un lac. Je la laisse à ses songes certainement tout aussi doux…
Nous approchons en un slalom nécessaire mais fluide, et rapidement j’aperçois la bouée marquée « Ciao ». Je décris une jolie boucle pour arriver face au vent, je choque la grand-voile, place la barre dans l’axe, saisis la gaffe, et file à l’avant ; La vitesse chute, la voile claque comme un drapeau, le bateau s’arrête à 1 mètre de la bouée. Hop ! Une aussière est remontée à bord et tournée au taquet ; c’est fait !
Manoeuvre simple finalement, presque évidente, et qui me remplit dans son élégance, dans le sens où elle s’inscrit dans le pur style traditionnel de la voile, en harmonie avec l’environnement, en connivence avec lui. A refaire plus souvent…
Ciao est à sa place, et j’entreprends aussitôt d’affaler la voile lorsqu’une tête sort du roof avec une allure un peu ailleurs, cheveux en bataille, et un regard dont l’auto-focus semblerait en panne…
- Qu’est ce qui se passe ? On est où ?
- Amarrés à notre place !
- Je n’ai rien entendu, j’ai été réveillée par des bruits de pas au dessus, et dans mon rêve je croyais que c’était la voisine avec ses talons…
L’essai est concluant ; on dort bien sur la couchette du carré. La question qui se pose désormais serait plutôt : « comment fait-on pour se réveiller quant on doit prendre des quarts, la nuit ? »
Petit sourire amusé, et la tête disparait…
Je constaterai après avoir remis le pont en ordre, que le second est à nouveau en mode « stand-by » ; en train de savourer le deuxième épisode du feuilleton « plus de son, plus d’image ».
Sylvie m’expliquera plus tard, comment les bruissements de l’eau sur la coque, en même temps que d’être bercée dans sa bannette lui ont évoqué une sensation de bien être qui certainement, pourrait se rapprocher de sensations prénatales.
Engramme physiologique ou fruit de l’imaginaire ? On ne sait pas…
Dans tous les cas c’est une illustration de la manière avec laquelle Sylvie peut transformer une navigation en méditation profonde, et un simple plaisir en sensation de bien-être généralisé.
Pour ma part, je n’aurais pas échangé ma place, préférant cette fois-là, le toucher de l’écoute de grand voile, à celui de l’oreiller…
Les siestes ont ceci de bon, qu’elles promettent des fins de journées plus toniques, débarrassées de la fatigue résiduelle…
En soirée, je propose de faire une petite sortie de nuit ; la température est douce, et l’idée est séduisante.
Après le repas, à 22 heures 30, nous quittons le mouillage.
Le temps est calme, il n’y a pas de vent. La nuit a pris toute sa place à présent. Le ciel moyennement couvert laisse filtrer un timide premier quartier de lune ;
Nous naviguerons au moteur pour cette sortie initiatique, même si le charme du grand cygne est rompu….
En quittant la baie, je sensibilise Sylvie aux repères qui nous seront utiles lorsque nous rentrerons. Les bouées vertes, les rouges, les feux scintillants… Ce sont autant d’indications qui d’ordinaire nous échappent totalement dans les navigations diurnes. Malgré quelques zones totalement noires, les axes principaux sont finalement très identifiables.
Une demi-heure plus tard, Ciao est en mer.
L’horizon apparait comme une toile tendue en fond de scène d’une immense salle obscure. La mer est noire, le ciel est d’un gris très profond.
Au large, de gros halos luminescents soulèvent l’horizon en direction du Nord Nord/Ouest. C’est le grand large dans cet axe, et nous comprenons que ces lueurs témoignent de la présence de gros bateaux que nous ne voyons pas ; ils sont derrière la ligne d’horizon, et le halo de leur éclairage se révèle dans l’humidité ambiante.
Ces bateaux, dont nous ne soupçonnerions pas la présence de jour, sont parfaitement repérables ce soir. Il y en a 4 ou 5 à intervalles réguliers ; des cargos ? C’est assez improbable, il n’y a pas de grand port de commerce à proximité… Des pêcheurs, alors ? De grosses unités en tous cas, très éclairées.
Nous n’avons pas de radar à bord de Ciao, et nous validons l’utilité de cet équipement, car sans ces conditions de visibilité ce soir, nous serions à notre insu entourés de toute une flotte invisible et potentiellement dangereuse en matière de risque de collision si nous faisions route au large. Un radar positionné assez haut dans le mat permettrait de les visualiser, de définir leur trajectoire et donc de sécuriser la zone autour de nous. J’ignorais qu’il y avait autant de trafic ici.
Nous nous accoutumons à l’obscurité, l’environnement nous apparaît maintenant tout en teintes de gris foncé ; le trait de côte est visible, souligné par une dentelle claire formée par l’écume des vagues qui se brisent sur les rochers.
Nous croisons la route de quelques petites embarcations de pêcheurs et en profitons pour réviser le positionnement des feux de route des autres par rapport aux nôtres – « Vert sur Vert tout est clair – Rouge sur Rouge rien ne bouge ! »

Le second confirme ses galons, en ne manifestant aucune crainte, et en adoptant le principe que « si on ne voit rien devant, c’est qu’il n’y a rien ». Ce n’était pourtant pas gagné d’avance, en tant que terrien habitué aux phares puissants de la voiture et aux boulevards éclairés, à la lumière omniprésente…
Conclusion : naviguer de nuit - par temps calme - ne pose pas de problème, il restera à renouveler l’opération sous voiles et sur une plus longue navigation…
Nous rejoignons le mouillage un peu après minuit, guidé par les bouées rouges à bâbord, et les vertes à tribord…
Nous sommes satisfaits de cette journée, riche d’enseignements et de validations. Jusque là, nous collons au programme prévu. Nous pourrions faire une coche verte dans la case devant « essai nav de nuit OK »…
Avant de partir en Espagne, nous avons besoin d’une journée à la marina, pour l’avitaillement, et aussi pour faire la vidange du moteur, réparer un coulisseau de grand-voile, recharger en eau et électricité...
Enfin, c’était prévu comme ça, mais en milieu de journée, alors que nous venons de prendre notre place au port, les drisses des bateaux voisins se mettent à claquer gaiement sur les mats, tandis que les palmiers de la jetée nous font de grands signes insistants, en sifflant … « Eho Ciao ! Y a du vent !!! »
Comment ignorer ces appels de la nature ? Le plaisir l’emportera-t-il sur la raison ?
Questions qui d’ailleurs, ne se posent même pas…
Le programme « bricolage, courses et le reste» est immédiatement revoté et remplacé à l’unanimité par « sortie en mer » ; on verra plus tard pour le reste.
Et voilà comment Ciao dévie du droit sillage !
Grand-voile haute et génois complet, Ciao se glisse au près, tout contre un vent de Nord de force 4, pratiquement constant. La coque est fraîchement carénée, la glisse est excellente, et nous comptons bien améliorer les 7,01 nœuds enregistrés l’an dernier (en fin d’été) comme meilleure vitesse sous voiles, et après avoir étalonné le loch, précisons-le.
A peine les voiles sont elles en place, que le loch affiche 7,30 - 7,40 très régulièrement...
Hum… Ce temps c’est du caviar pour Ciao !
Et contrairement à ce qu’on raconte habituellement sur les pontons de plaisance (que le vent souffle soit trop fort, soit trop faiblement, soit dans le mauvais sens) les conditions aujourd’hui, sont parfaites…
Un petit réglage supplémentaire des voiles, et c’est un 7,98 qui récompense illico Sylvie qui se régale à la barre, arborant un sourire démesuré ; pour être complet dans mon propos, je dois mentionner qu’elle adore jouer, lancer des défis, donner la réplique, et si possible, tenir la tête des résultats, et ce, quelque soit l’activité…
Elle a pourtant fait connaissance avec le bateau depuis peu, et déjà elle le mène au doigt et à l’œil ; totalement concentrée, dans le but de gratter les 0,1 nœuds supplémentaires que le capitaine aura certainement du mal à égaler …
Quelle compétitrice !
Bon allez ! Fini de rigoler ! Changement de barreur…
Mille sabords ! La chose n’est pas facile ! 7,98, ca va être chaud !
7,40 – 7,20 – 6,60 – 6,50 - Grrr ! La honte me guette, le discrédit, la faillitte !
- Le vent mollit un peu ? Les voiles sont mal réglées ?
- Bla bla bla pas d’excuse Capitaine ! les chiffres parlent d’eux mêmes…
Moment de solitude…
- C’est sûr le vent mollit maintenant…
Quoique …
6,50 – 7,20 – 7,47 – Ah ? Ah ?
- Les affaires reprennent !
8,01 – 8,24 !!
- Yes !
Foule en liesse ! Champagne ! Feux rouges à mains, comme à l’arrivée du Vendée-globe ! Non ! je reviens sur terre ! Mais je suis content de moi et du bateau que je découvre encore, car ce n’est que la deuxième saison avec Ciao.
C’est vraiment une vitesse très honorable pour un voilier de 8,50 mètres naviguant au près bon plein. Je comprends qu’à son époque de jeunesse ce type de bateau était au départ de toutes les régates de club, et à l’arrivée en tête de tableau.
Cette fois, c’est le capitaine qui détient le record, mais de peu car il a été taquiné un peu plus tard à 8,14 « tout de même »!
En rentrant, nous nous sentons remplis du grand air, des vagues, des sourires, et plaisirs que nous avons partagés. Nous remercions les palmiers de nous avoir invités à sortir en mer, et nous nous remercions nous-mêmes, aussi d’avoir su modifier nos plans pour prendre ce moment de petit bonheur.
Nous ferons les courses, et la vidange du moteur demain… Nous partirons après-demain…
Voilà l’important qui émerge du tout simple ;
Une validation qui n’était pas au programme vient de s’imposer d’elle-même : nous avons vérifié que nous privilégions souvent la perception du moment présent, à tout programme établi, et que ceci nous est finalement profitable.
Cette souplesse qui fait partie de notre manière de voir les choses en général, est aussi notre façon d’envisager les expériences sur le bateau, à moyen comme à long terme. Ce n’est pas le tout de le dire ; là, nous l’avons vécu ; sur un point de détail certes, mais quel plaisir !
Nous avons remarqué que cette ouverture a pour nous l’avantage de générer d’une part, beaucoup plus de moments « plaisir », et d’autre part, de faire naître des sensations plus intenses, car imprévues, et vécues comme des cadeaux…
L’inconvénient, si on en cherchait un, serait une certaine inconstance apparente… Ca change toujours d’avis à bord de Ciao, ca navigue à vue, au gré du vent… En même temps c’est normal pour un voilier non ?
C’est quand-même vrai que lorsqu’il est question de conjuguer cette souplesse d’adaptation aux prévisions météo, qui sont parfois plus nébuleuses qu’une nuit dans le brouillard, nous passons par des réflexions où il devient difficile de prendre une décision, à moins d’avoir recours au « pile ou face »...
Ce qui a failli être le cas pour décider de notre départ vers Lekeitio (qui se trouve à 6 ou 7 heures de navigation plein Ouest).
Côté prévisions météo, les vents s’annoncent dès lors plutôt faibles mais contraires (quoiqu’ils oscillent en direction), le temps sera couvert avec semble-t-il des risques d’averses (prévision espagnole), sans mention de pluie (météo française)…
De notre côté, pour l’expérience, nous avons envie naviguer de nuit, et nous avons à l’origine, très envie d’aller en Espagne.
Sans devoir faire appel à des dons extralucides, je pressens que nous bénéficierons vraisemblablement d’une visibilité mauvaise.
Une petite phrase parasite passe par là : « finalement nous aurions peut-être dû partir vers l’Espagne, un jour ou deux plus tôt… La météo aurait été meilleure… »
Peut-être… Mais la question ne se pose plus…
Je décide de prendre un départ en fin de nuit, vers 3h ou 4 heures, ce qui nous laisse un bon compromis, car nous serons en zone connue pendant les heures d’obscurité, et nous aurons quand même notre expérience de navigation nocturne vers une destination fixée. Nous pourrions être à Lekeitio avant midi.
Réveil, petit déjeuner, check-list de départ, largage des amarres…
03 heures 30.
C’est un véritable ballet de bateaux de pêche qui croisent dans tous les sens dès la sortie du chenal. La vigilance est maximale, et le décryptage des feux rouges et verts est permanent.
Sylvie aime ce nouveau jeu qui consiste à deviner vers où vont les bateaux, et vers où on doit aller pour les éviter ; et sachant que les bateaux de pêche changent constamment de direction pour les nécessités de leur pratique, les discussions à bord de Ciao, vont bon train…
La nuit est noire, sans lune, le temps est couvert comme prévu…
Le ciel et la mer sont exactement dans la même palette de noir profond, nuance « encre de chine »…
S’il n’y avait pas les bateaux au loin, on ne devinerait pas l’horizon. S’il n’y avait pas ces autres bateaux plus proches, on ne pourrait pas situer le plan d’eau par rapport à notre position. L’équilibre à bord, se révèle difficile sans repère visuel.
Seule la côte sur bâbord, est visible, le phare du Cap Higuier, quelques lampadaires…
La houle est forte, et de travers ; on ne voit pas arriver les vagues, pourtant elles sont puissantes et très proches les unes des autres ce soir.
Nous devons nous propulser au moteur, car le vent est faible, exactement de face dans l’axe de notre route ; tirer des bords sous voiles, reviendrait à faire du surplace…
Nous progressons à 5 nœuds à peine, et le bateau se vautre régulièrement sous l’effet de vagues plus hautes qu’il nous est impossible d’anticiper ; la vitesse chute à 3,5 nœuds parfois, puis reprend. A l’intérieur, pourtant bien rangé, des choses tombent ; la porte de la couchette s’est libérée et bat régulièrement, le réchaud à gaz tape en butée.
Un petit tour dans le carré pour calmer le jeu, et j’ai l’impression d’être une bulle dans un shaker. Je ressorts vite fait au grand air, c’est meilleur, mais avec le sentiment d’être debout sur les pédales d’un vélo trop grand pour moi, et d’essayer de rétablir l’équilibre.
Il n’y a aucun danger, aucune crainte, mais un inconfort maximal, qui petit à petit nous fait perdre le sens de cette navigation. Mais pourquoi est-ce qu’on se fait brasser comme çà ?
Ce qui laisse échapper : « Putain c’est loin le Maroc ! » (une future destination envisagée ; mais c’est une autre histoire…)
L’obscurité quant à elle, est totalement gérée ; nous suivons notre route au GPS, nous la reportons sur la carte, en contrôlant avec les repères visibles à terre ; l’expérience est positive de ce côté-là.
Régulièrement toutes les minutes un train de vagues plus marqué, continue de malmener le bateau, dans des mouvements désordonnés et difficiles à amortir.
Nous continuons notre route en silence, si on élimine mentalement le ronronnement du moteur…
Nous surfons chacun sur nos pensées… Je me demande si ce serait plus facile au large ; certainement, mais nous éloigner de 10 ou 15 milles rallongerait considérablement le trajet, donc le temps d’inconfort…Déjà que nous n’avançons pas très vite…
L’espace de quelques secondes, j’ai une perception bizarre, on n’y voit rien, et c’est comme si un voile encore plus noir était venu nous caresser, nous envelopper, nous, le bateau, et tout ce qu’il y a autour. Je m’interroge sur ce ressenti… La fatigue peut-être ?
Il m’a semblé que c’était différent juste après ce passage encore plus obscur ; ca me semble redevenu un peu moins noir maintenant… je me dis que je dois avoir des hallucinations…
Je scrute tout autour, pour comprendre, pour voir si un effet de lumière quelconque a pu produire cet effet ; je regarde le ciel, et je comprends aussitôt en distinguant tout à peine quelques traces d’un noir moins intense sur le ciel…
En quelques minutes ces traces deviennent grises, puis blanchâtres entre les nuages.
C’est le jour qui se lève…
C’est curieux cette manière dont j’ai vécu ce passage de la nuit aux premiers rais de lumière du jour…
Sylvie remarque avec moi ce changement à présent, mais ne fait pas d’autre commentaire.
La houle continue de nous secouer ; nous pouvons la voir maintenant, courte, croisée elle est certainement désorganisée par le rebond sur le relief côtier assez proche ; c’est une marmite très désagréable que nous pensons devoir supporter au minimum 6 ou 7 heures encore, car notre vitesse moyenne est inférieure à la prévision…
Nous savons que cette houle venant de très loin au large, n’a aucune raison de disparaître subitement…
Nos regards se croisent, interrogateurs… Qu’est ce qu’on fait ? On continue ?
Pfff, je n’ai pas de plaisir dans cet instant ; Sylvie visiblement, non plus…
De plus, il semble que nous allions effectivement vers une zone de pluie…Le ciel est d’un gris plombé devant nous, l’horizon est bouché… La prévision météo espagnole se confirme.
- Faisons une escale à San sébastien ? C’est à une heure d’ici…
- Non ce n’est pas une bonne idée ! Un renforcement du vent est prévu demain, à force 5 ou 6 avec des rafales supérieures, et le mouillage sera vraiment inconfortable.
- Demi-tour alors ?
Vote à main levée…Enfin non, parce qu’on se cramponne à deux mains…
En verbal alors :
Demi-tour ! Adopté à 100 %.
Barre à tribord toute, entre deux vagues, Ciao fait un 180 °-
Le phare du Cap Higuier est loin devant à présent ; il marque l’arrivée à Hendaye. Il faut refaire pratiquement 2 heures dans ce sens…
La houle est toujours aussi détestable, et le vent qui est au portant maintenant, est ressenti comme insignifiant. Il ne nous incite pas à établir une voile pour nous caler un peu… Elle ne ferait que claquer sous les mouvements du bateau ; à moins de tangonner le génois… Pas envie de faire l’acrobate… Nous restons au moteur.
Nous prenons notre mal en patience, contents de notre expérience nocturne, contents de notre décision de demi-tour, même si la houle imprime cette fois un comportement de culbuto au bateau, avec un roulis sévère, qui se révèle contrariant pour les estomacs, et nous oblige à gérer le désagrément en pompant sur les jambes pour essayer de garder un semblant de verticale.
Cette étrange gymnastique permanente pendant deux heures, nous ramène à Hendaye.
En rentrant au petit jour, nous faisons un constat étrange : nous avons tous les deux l’impression que nous ne connaissons pas ce lieu… Nous pourrions presque affirmer que nous n’y sommes jamais venus…
Bizarrement tout nous paraît immense, très large, démesuré… Les jetées sont incroyablement longues, et écartées, les immeubles du côté espagnol, éclairés par le soleil levant prennent une place que nous n’avions jamais remarquée. A croire que notre vision de jour est déformée par le fait d’avoir scruté chaque détail dans le noir… Je n’avais jamais fait ce constat auparavant ; c’est une sensation très curieuse, amplifiée vraisemblablement par l’état un peu second dans lequel nous sommes.

07 h 40, nous sommes revenus au point de départ, à notre chère bouée « Ciao ».
Arrêt moteur… Soulagement… Le niveau sonore était finalement assez présent ; il nous a littéralement engourdi la cervelle…
Les interrupteurs des instruments de bord se coupent un à un…
Une urgence se profile ; nous lançons un « COC » :
Couchette, Oreiller, Couette !
A 13 heures 50, à l’heure où j’écris ces quelques lignes sur le livre de bord, je constate que les effets somnifères de la houle sont toujours présents dans le métabolisme de mon second, qui est profondément concentrée sur une rythmique caractéristique d’une saine récupération…
Quelques heures plus tard, la plage de Hendaye, nous accueillera jusque tard dans la soirée sous un soleil bien doux, qui ne nous fait pas regretter les menaces de pluies de Lekeitio, même si son petit port sympathique, la petite île San Nicolas, et le dépaysement du lieu avaient charmé nos projets…
Alors que nous sommes allongés sur le sable, nos reflexes croient bon de nous faire encore tanguer ; nos corps, parfaitement immobiles nous transmettent des fortes sensations de balancement, comme si cette houle refusait de nous laisser en paix. Le mal de terre ?
En fin de journée, nous décidons de partir le lendemain vers Saint Jean de Luz, (à 2 heures de mer seulement, côté Est).
Avec un vent du Nord, force 4, donc de travers cette fois, Ciao file fièrement, arrosant régulièrement le pont de quelques pointes d’écume qu’il soulève depuis l’étrave. C’est une navigation agréable pour moi, même si sous l’effet de la houle encore bien présente, les coups de gîte sont plus marqués, et rendent les positions difficiles à trouver dans le cockpit. Sylvie aime un peu moins trouvant certains mouvements du bateau trop prononcés à son goût ; nous imaginons les avantages que procurerait un cockpit plus grand, une barre à roue, etc…
Nous naviguons assez vite et parcourons la douzaine de milles, en un peu moins de 2 heures.
L’idée d’un mouillage en baie de Saint Jean de Luz est rapidement abandonnée, car la houle s’y infiltre suffisamment pour le rendre inconfortable et rouleur.
Le port de Ciboure est au fond de la baie de Saint Jean de Luz ; il est tout petit et il n’y a que quelques rares places de passage ; un appel à la VHF à la capitainerie nous confirme que nous pouvons entrer.
Nous y faisons une escale qui se révèlera pour nous, finalement assez exceptionnelle.
Pourquoi ? Comment ?
Difficile de répondre si ce n’est que le temps s’est suspendu de lui-même…
Dès notre arrivée, nous profitons pleinement de la plage, des petites boutiques… Nous sommes en totale décontraction, entre séances bronzage, lectures et petites siestes…
Juste le plaisir d’être là, mais pleinement là… Conscience d’avoir fait un choix heureux, l’autre nuit… Pas l’ombre d’un regret, ni d’une déception… Bien au contraire ; ce n’est pas une réduction de programme que nous vivons, mais un recentrage sur une opportunité qui se révèle excellente.
Sur notre satisfaction, nous prolongeons d’une nuit, notre séjour au port de Ciboure.
Je note pour l’anecdote une soirée passée à la terrasse d’un petit restaurant dans une rue en pente, où la vue de la table inclinée (certainement interprétée par le cerveau comme la gite du bateau) a réactivé très fortement et pour tous les deux en même temps, la sensation de mal de mer… Incroyables réflexes que même l’apéritif n’a pas réussi à dissiper…
Comment nos sens peuvent-ils nous tromper d’une manière aussi flagrante ?
Ces sensations disparaitront peut-être à mesure que nous amarinerons davantage…
De retour à Hendaye, nous faisons le point.
Le bilan de cette semaine a été excellent au niveau de notre ressenti ; l’un des meilleurs.
Pourtant nous sommes restés assez loin de ce que nous avions programmé…
Excellent, malgré (ou grâce à) la simplicité de ce que nous avons vécu ; c’est d’ailleurs ce qui me crée une difficulté à le traduire sur papier, ou à le transmettre… J’espère y être vaguement parvenu…
Définitivement, nous savons que le plaisir n’est pas lié à l’accomplissement de ce qui a été décidé, ni au côté spectaculaire des évènements, pas davantage aux coûts matériels en jeu, mais uniquement au plein accompagnement des circonstances qui se présentent à nous…
Sylvie et moi sommes bien en phase à présent sur ce point.
C’est une navigation de vie, en finesse, que j’ai apprise auprès d’elle petit à petit.
Auparavant j’avais l’impression que d’abandonner un programme était un peu comme céder à une facilité, conduisant à terme, à ne plus rien faire d’intéressant ou de conséquent dans sa vie…
Selon mes anciens réflexes, ne rien faire d’intéressant ou de conséquent, c’était perdre son temps…
Je sais aujourd’hui que c’est l’inverse.
Tout semble venir à point, et ce qui se vit, se vit pleinement ; c’est précisément cela qui procure une sensation de bonheur entier ; et en avoir conscience, c’est la cerise sur le gâteau…
Etrangement, nous remarquons que le temps passe moins vite dans le quotidien. Une semaine (comme celle-ci) peut très bien nous sembler en avoir duré le double, et une année en contenir plusieurs… C’est pratique !
Je savais que les notions de temps sont subjectives (déjà au lycée une heure de maths semblait plus longue qu’une heure de récré ou de sport) ; et combien de fois ai-je entendu qu’en vieillissant le temps semble s’accélérer…
Je me souviens de cette sensation, je l’ai eue aussi. Elle est totalement disparue.
A mon avis elle est engendrée par nos projections vers le futur, j’en avais beaucoup, et tant d’années y ont été aspirées…
Même si les rêves sont les bienvenus, et que de ceux-ci naissent des projets, je suis maintenant convaincu que les projections vers le futur dévorent le présent…
Dans l’attente d’avoir (ou dans la crainte de ne pas avoir), on oublierait d’Etre ?
Je ne ressens plus l’accélération du temps aujourd’hui, au contraire. L’espace temps se détend, comme moi, pour mieux vivre le moment présent...
Cette semaine à bord de Ciao en est une démonstration de plus.
Ce n’est certainement pas un hasard si le mot - « présent » - est utilisé aussi dans le sens « cadeau »…
Et ce n’est pas un hasard non plus, si parfois son contraire c’est : « absent »…