La fin du voyage ? La fin du rêve ? La fin du blog ?
Et si c'était tout le contraire ?
Voyages au long cours... Voyages intérieurs ... Ou plutôt les deux ensemble ! A mon avis, il y a une sorte de parallèle entre nos cheminements terrestres (ou maritimes) et nos évolutions intérieures... Faut-il pour autant partir pour se trouver ?
Ce questionnement qui en dit peu mais suggère à l'infini, est inscrit de manière permanente dans le "feeling" du blog. Même si jusque-là je l'ai peu évoqué, c'est avec lui que nous sommes partis, il nous a accompagnés en filigrane durant tout le voyage, dans les moments heureux, dans les moments de doute, dans les périodes plus tendues. Il est rentré avec nous, il est même plus que jamais d'actualité, laissant peut-être enfin filtrer quelques bribes de réponse.
En réalité c'est un autre voyage qui démarre, une sorte de nouvelle ère.
C'est une nouvelle phase de découvertes et d'évolution et c'est peut-être l'orientation que prendront mes prochaines écritures.
En attendant il manque un épisode, et quelques uns, parmi les lecteurs du blog, ont perdu le fil.
Prenons le temps de revenir sur :
Agur (prononcer Agour) le retour ! Et en prime, ça rime !
Comme chacun l'a compris Agur, notre bateau, est resté en Martinique. Il a trouvé acquéreur, et il participe maintenant à une autre histoire, un autre rêve fort et bien ancré qui s'annonce lui aussi rempli de richesse.
Lorsque nous avons débarqué nos valises le 04 Avril 2018, en présence de Jean-Michel, le nouveau propriétaire de Agur venu spécialement de métropole pour en prendre possession, il serait tentant d'imaginer un départ poignant, chargé émotionnellement ; des adieux dignes de ce nom, l'expression d'une gratitude envers ce "bon bateau", et plein d'autres choses de ce style... Mais ça ne s'est pas du tout passé comme ça.
Y avait-il un malin petit génie, de surcroît bienveillant, qui ce serait arrangé pour nous occuper ailleurs, et nous épargner cette décharge affective ? Peut-on soupçonner Agur lui-même d'avoir souhaité une digne séparation ? La réponse est celle que l'on veut, le constat est que ce fut littéralement une journée "de course" contre la montre. La première depuis bien longtemps...
Dès le matin, quelque chose a pris en main l'emploi du temps et ne l'a plus lâché, jusqu'à exciter le transporteur qui devait venir prendre en charge notre fret aérien (47 cartons pour un poids de 420 Kilos) l'après-midi ! Le bougre s'est annoncé à 10 heures, nous obligeant à chercher à toute hâte des chariots de transport, et de débarquer illico presto tous nos colis en suant comme des bêtes de somme.
Jean-Michel que nous connaissions à peine, arrivé au même moment, s'est trouvé réquisitionné d'office. Bienvenue à bord !
Il y avait déjà beaucoup de démarches à effectuer d'un point de vue administratif et logistique, il y avait aussi à initier le nouveau capitaine à toutes les particularités du bateau, et même s'il comprend plutôt rapidement, il n'y avait pas de temps à perdre.
Et pourtant lors de l'amarrage final du bateau à sa place de ponton, profitant bien sûr d'une confusion de communication entre l'équipage et une employée du port, une amarre sournoise s'est glissée à l'eau. Aussitôt happée par l'hélice tribord, le résultat ne s'est pas fait attendre : moteur bloqué. Ce n'est jamais le bon moment pour ce genre de blague. En 4 ans ça ne nous est jamais arrivé. Nous avions déjà eu des démêlés avec un casier de pêcheur (classique), une autre fois avec une pendille dans un port espagnol, mais une de nos propres amarres jamais ! Et là, quelques heures avant de rejoindre l'aéroport avec encore pas mal de choses à gérer, ce n'était pas le moment le mieux choisi pour innover !
La veille j'avais pris, rempli de conscience, ce que je croyais être mon dernier bain dans une eau turquoise et cristalline, histoire d'imprimer une bonne image d'avant départ...
Raté ! ce nouveau bain forcé à mi-chemin entre un recoin de port et un fond de mangrove s'annonçait bien glauque, et il s'est révélé à la hauteur des prévisions ! Visibilité 10 centimètres, couleur verdâtre généralisée, et parfum genre boisé !
Il a fallu trois quarts d'heure, à deux, tour à tour en apnée, pour décoincer cette satanée amarre vicieuse sans la déchiqueter. Soulagement et satisfaction.
Soigneuse douche désodorisante à suivre, rangement et ... essai moteur !
Devinez ?
Non c'est impossible !
Eh bien si ! Pourtant tout avait été bien nettoyé et rangé, la douche, les masques, les maillots, la plage arrière rincée, mais un détail avait été oublié. Juste un détail !
Au démarrage du moteur tout s'est bien passé, rien à signaler mais à la mise en marche avant pour vérifier l'inverseur, l'amarre, la même, celle qui nous avait fait galérer trois quart d'heures, était encore dans l'eau ! Et Bloum ! Bruit sourd, silence, moteur bloqué.
Pendant quelques secondes j'ai cru à une blague de l'espace-temps ; un retour arrière par un saut quantique ou quelque chose comme ça. En fait non c'était juste un empilage de "connerie" ; l'une sur l'autre ! du jamais - jamais vu !
Deuxième cession, même cause même effets, et trois quarts d'heure plus tard, tout était clair, sauf le timing ! Nous étions maintenant vraiment dans le rouge !
Nous avons quitté Agur en courant, comme on dirait à un bon pote qui bien sûr comprendrait : "bon on y va parce qu'on va louper l'avion... Allez à plus !"
C'est donc de cette manière légère que nous avons clôturé ce grand chapitre, commencé en 2013.
Cette fin a certainement été favorisée par l'une des caractéristiques de notre voyage ; en choisissant de le mener avec la priorité de disposer de beaucoup de temps ,nous avons pu nous rendre compte combien les jours s'égrènent doucement. Le rythme de vie est calé sur le cycle du soleil, les décisions se prennent en fonction du vent et des conditions naturelles lorsqu'elles sont réunies.
Il y a tant de temps, que l'on est intensément plongé dans le présent. La conscience de ce que l'on vit est grande, alors elle ne laisse aucune place aux graines de regret ou de nostalgie.
Lorsque c'est fini, c'est juste le moment pour que ce soit fini... Pas de lourdeur, pas de peine.
Ceci devrait éclairer et répondre aux nombreuses personnes qui spontanément nous ont dit : "oh lala ça n'a pas été trop dur le retour ? " ou "ça a dû vous faire quelque chose de quitter le bateau...".
Pour certains, il est difficile de comprendre et d'associer ces deux pôles : oui c'était un beau voyage, oui nous sommes heureux de l'avoir vécu, et oui nous sommes heureux de le voir se terminer, parce qu'il est rempli, parce qu'il est plein de toute sa gamme.
Un œil attentif verra peut-être dans cette dernière épreuve initiatique sur Agur, un double dénouement (d'amarres), une manière de travailler le "détachement", ou encore que nul ne sait jamais quand il prend son dernier bain! Et quand bien même on pense que cette fois c'est vraiment le dernier, il peut y en avoir encore un après... J'en souris encore...
L'atterrissage s'est fait en douceur, avec une météo clémente, ce qui n'a pas empêché que des achats rapides de chaussettes, pulls, pantalons, et chaussures se sont révélés nécessaires. Ce devait être comique de nous voir hanter les galeries marchandes, chargés de sacs (en papier - nouvelle écologie oblige) en quête de nos déguisements terriens !
Puis se fut au tour du changement de téléphone, et de l'adaptation des forfaits téléphoniques et d'accès internet. Pas simple de s'y retrouver...
48 heures après notre arrivée, nous nous sommes mis à la recherche d'un camping-car, qui serait pour quelques semaines notre véhicule et notre toit. Démarches auprès de concessionnaires, un autre univers avec ses propres codes...
Autre rythme, autre monde que celui de la société terrienne !
Notre retour à terre a été ponctué d'étonnements, après presque cinq ans d'éclipse.
Nous avons constaté que beaucoup d'actions ont été "déshumanisées", et par la même occasion elles ont pris un degré de complication à nos yeux, et perdu deux ou trois degrés d'efficacité !
A l'aéroport d'arrivée, c'est un automate qui fait la vérification en douane, fini le coup d'œil rapide, au raz de la casquette, du préposé des douanes et du policier.
La porte du sas ne s'ouvre pas, croix en rouge sur l'écran et il faut refaire le contrôle, plus doucement, en appuyant mieux son doigt sur l'écran qui lit l'empreinte, en posant mieux le passeport pour qu'il soit scanné ... C'est une machine, c'est arbitraire, cartésien, aucun lien de sympathie, encore moins d'empathie ; rien ne peut s'établir entre elle et nous, . C'est 0 ou c'est 1. Chacun est suspect à 50 % ...
On rentre dans les critères, les cases sont cochées en vert, la porte s'ouvre, tant mieux, tout est conforme, mais il y a une sensation glaciale en arrière plan.
Au fast-food, c'est un automate qui prend la commande, mais apparemment c'est encore une demoiselle qui la livre. Encore 5 ans et ce sera un robot, à moins que déjà...
Plus de service de cartes grises pour immatriculer notre camping-car ; "débrouille-toi comme tu peux avec un site internet qui ne fonctionne pas". "Cherche à comprendre par toi-même, et malheur à toi si tu ne peux pas de connecter à internet". Il n'y a personne pour informer, les numéros de téléphone sont automatiques ; "taper 1 - taper 2" et en final il envoient sur une adresse internet, sur laquelle bien sûr c'est un avatar "Claude" ou "Claire" qui répond bêtement à l'infini "je n'ai pas compris votre question, veuillez renouveler".
Chez Orange, quand internet ne fonctionne pas, et que l'on téléphone pour dépanner, une voix automatique "dites oui, dites non" demande en final pour résoudre le problème, de se connecter sur l'espace client par internet ... Pratique !
La liste pourrait facilement s'allonger. Toutes ces évolutions se sont faites graduellement et chacun ici semble les avoir acceptées. Y avait-il le choix ? Notre société avance à grands pas, il suffit de s'en écarter juste un peu pour le mesurer.
Pour contrebalancer, ces impressions plutôt désagréables nous avons trouvé une douce et presque impudique abondance dans les rayons de supermarché ; un choix démesuré de plats préparés, de sauces toutes faites, des quantités de nouveaux produits, une diversité qui feraient frissonner les habitants des petites îles où il n'y a même pas l'eau au robinet.
Ces grandes surfaces commerciales existaient bien sûr il y a cinq ans, mais la quantité de nouveaux produits est surprenante.
Sur ce plan néanmoins, notre réadaptation s'est très vite faite.
Puis nous sommes retrouvés sur les routes de France avec notre camping-car, avec pour objectif premier de visiter la famille. Nous sommes passés d'abord dans le Nord, puis dans le Loir et Cher, les Charentes maritimes, la région de Bordeaux, le pays Basque, Toulouse...
Parents, enfants, petits enfants, frères et sœurs... Quel plaisir de se sentir plus proches, et en mesure de se revoir plus régulièrement ...
Et il avait aussi une activité professionnelle à réactiver dans le panier d'arrivée.
Aussi surprenant que cela puisse paraître rien n'était prévu en ce sens ; l'idée à germé en Martinique, au moment de la mise en vente du bateau. Il a suffi d'un seul courriel, pour renouer avec une équipe sympathique déjà fréquentée il y a dix ans.
Ma casquette de capitaine envolée dans les alizés, me voici avec une autre : "Agent-co" ; agent commercial, dans le domaine de l'immobilier spécifique qui est celui de l'hôtellerie et l'hôtellerie de plein air. Je vends des campings, des hôtels, et le secteur géographique qui m'a été attribué se concentre essentiellement en région Rhône Alpes.
Syl a troqué ses galons de second à bord d'Agur, pour un rôle d'assistante commerciale qui lui sied comme un gant.
C'est la nouvelle "Team Rhône Alpes" , qui par la force des choses, ne fait rien comme tout le monde.
Déjà nous sommes deux, nous nous déplaçons en camping-car, et du fait nous sommes en rupture totale avec l'image du commercial stéréotypé dans sa jolie voiture haut de gamme qui prend ses nuits en hôtel 3 étoiles et rentre à la maison le week end...
Et il se trouve que les clients aiment bien; ils trouvent l'idée sympathique, et d'une efficacité remarquable. Les dossiers sont mis à jour et transmis par internet en temps réel depuis ce bureau mobile. C'est très réactif.
Sur fin mai et début juin, en 5 semaines toniques, nous avons abattu plus de 3 mois de travail d'une prospection commerciale classique. Alors cette première utilisation "provisoire" du camping-car risque bien de se trouver validée pour la suite...
Le secteur de prospection attribué nous a amenés à choisir la Drôme provençale, et Nyons comme nouveau port d'attache. Nyons, cette petite ville touristique de 6000 habitants regorge d'animations et d'activités, le climat est serein, abrité du mistral et très ensoleillé.
Oliviers, lavandes, vignes, constituent la campagne environnante sonorisée par le chant des cigales.
C'est d'un charme différent de celui d'un lagon bleu clair bordé de cocotiers, mais la sensation est bonne au sein de cette nature, et la population accueillante !
A Nyons, nous avons trouvé un appartement dans un quartier calme, proche du centre ville, où tout est accessible à pied à moins de 300 mètres ; extra !
Là, nous avons entrepris l'opération inverse de celle qui a été menée avant le départ : se rééquiper en mobilier, ustensiles du quotidien, objets de décoration... Nous avançons à petits pas, jaugeant à chaque achat son utilité, sa correspondance avec nos goûts réels, l'influence des effets de mode, le sens des choix que nous faisons.
Un autre voyage ! je le disais en début d'article, qui a pour ambition de nous faire redécouvrir la vie terrienne d'une nouvelle manière.
Professionnellement, nous entrons dans une dynamique qui se joue des clichés, qui compose, qui s'adapte aux circonstances, et aux réalités.
En fait, nous n'avons pas la sensation de vendre des fonds de commerce, nous aidons des gens, qu'ils soient vendeurs ou acheteurs, à réaliser leur objectif, à finaliser leur rêve, leur projet. Nous recherchons les adéquations, c'est passionnant. Nous créons de nouvelles relations, nous visitons les régions de France, c'est presque ludique.
Il y a une première réponse, essentielle, que le voyage sur Agur a apportée. Il a répondu à cette très forte aspiration que j'avais, de vivre une totale liberté de temps et d'espace. Aller ou bon me semble, sans limite de temps ; le luxe ultime dans l'esprit de quelqu'un (comme dans celui de beaucoup d'entre-nous) qui a eu peu de temps libre, trop longtemps accaparé dans une activité professionnelle, des responsabilités familiales...
Cette liberté, il fallait que je la vive, que je la touche du doigt, pour la comprendre, pour la cerner.
Au fil des mois, après avoir pleinement ressenti cette abondance de temps libre, petit à petit l'expérience s'est mise à me murmurer une réponse sous forme de questionnement : "Et maintenant ?"
Surprenante au début, cette question s'est mutée en évidence.
Oui, sur le bateau, face au plus beau des lagons depuis huit, dix jours ou davantage, je me suis surpris à prendre la mesure de tout ce potentiel de vie non utilisé ; de tout ce temps consacré à découvrir que le temps libre est justement là pour accueillir autre chose...
Et maintenant ?
Voilà qui me laisse matière à réflexion et à inspiration pour de prochaines écritures...
Heureusement j'ai pris quelques notes pendant le voyage !